30mn inédites de Star Wars, à l’épreuve du droit d’auteur

Alors que LucasFilm exploite régulièrement ses archives dans les rééditions de Star Wars, un collectionneur a décidé de publier lui-même des images jusque là inédites du tournage du Retour Du Jedi, en s’abritant derrière le droit au Fair Use.

Comment Disney, qui a racheté LucasFilm et sa licence Star Wars, va-t-il réagir ? Comme le signale Big Browser, un heureux collectionneur a pu mettre la main sur un laser disc jusque là inconnu, qui contient 30 minutes de rushs du sixième volet de la saga des Skywalker (le troisième dans l’ordre de sortie), Le Retour du Jedi. Et plutôt que de le garder pour lui, le collectionneur a décidé d’en faire profiter le monde entier, non sans réaliser une étrange opération marketing.

Mis en vente sur eBay à 699 dollars, le disque laser réunit différentes prises de la scène pendant laquelle Yoda confirme à Luke que Darth Vader est bien son père, puis meurt en révélant qu’il existe un autre Skywalker — une scène qui devrait prendre toute importance avec la nouvelle trilogie dont l’épisode 7 sortira en 2015. Même si l’un peut découvrir quelques variations de dialogue et de mise en scène, le disque ne contient a priori aucune scène inédite, mais suffit à soulever l’enthousiasme des fans.

Perdu par LucasFilm, il semble issu des disques exploités par l’entreprise de George Lucas pour faire la démonstration commerciale de sa plateforme de montage numérique EditDroid, lors d’un salon professionnel à Las Vegas en 1984 :

Mais plutôt que de publier une copie intégrale du disque laser, qu’il a dû restaurer pour le rendre lisible, le collectionneur anonyme en fait une exploitation curieuse. Il a en effet promis de publier le contenu par séquences, mises en ligne au fur et à mesure qu’il obtiendra des « likes » sur sa page Facebook. Une véritable démarche marketing qui ne sert pourtant, pour le moment, aucun revenu publicitaire (si ce n’est ceux de Facebook lui-même).

Mettant ses promesses à exécution, le collectionneur a commencé à publier quelques séquences issues du laser disc …

(…)

Mais comment va réagir LucasFilm (ou plutôt Disney), qui a pris pour habitude de fouiller ses archives pour remplir ses innombrables rééditions de la saga Star Wars ? Dans une stricte application du droit d’auteur, le producteur peut réclamer la propriété de ces contenus enregistrés il y a un peu plus de 30 ans. Mais pour tenter de se prémunir par avance de toute tentative de censure, le collectionneur prévient sur chaque vidéo publiée que l‘article 107 du Copyright Act de 1976 autorise le Fair Use, c’est-à-dire les exploitations faites dans le cadre d’une « utilisation équitable ». Il met en avant la valeur historique de ces documents, et leur intérêt public.

Selon cet article 107, « l’utilisation équitable d’une œuvre protégée, y compris l’utilisation par reproduction de copies ou de phonogrammes ou par tout autre moyen indiqué par cet article, à des fins telles que la critique, le commentaire, la publication de nouvelles, l’enseignement (y compris les copies multiples pour utilisation en classe), le savoir, ou la recherche, ne constitue pas une violation du droit d’auteur« .

>>> Source & plus d’infos ( & les vidéos) sur : http://www.numerama.com/magazine/27349-30mn-inedites-de-star-wars-a-l-epreuve-du-droit-d-auteur.html

Les Mystérieuses Cités de Plomb

(ou quand le public se fait défenseur du droit moral sur l’oeuvre)

Je ne pensais pas avoir un jour l’occasion de parler des Mystérieuses Cités d’Or sur un blog juridique, mais voilà que la diffusion par TF1 d’une suite de cette mythique série des années 80 m’en donne l’opportunité. Et qui plus est à propos d’une question qui me tient particulièrement à coeur : celle du droit moral et des rapports entre les créateurs et leur public.

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Esteban, Zia, Tao… toute une époque !

Le droit moral constitue une prérogative très forte reconnue au bénéfice des auteurs, notamment dans le droit français, qui leur confère notamment la possibilité de s’opposer à des modifications portant atteinte à l’intégrité de leurs oeuvres. Les juges français sont particulièrement attentifs au respect de ce droit, conçu comme un prolongement de la personnalité de l’auteur à travers son oeuvre.

Voilà pour les grands principes, mais il arrive que la réalité s’avère beaucoup plus complexe, et notamment que ce soit le public qui s’élève contre un créateur pour défendre l’intégrité de l’oeuvre. Et c’est précisément ce qui est en train de se passer à propos de la saison 2 des Mystérieuses Cités d’Or, comme l’indique ce billet du Huffington Post.

L’or changé en plomb…

Lancée à grands renforts de promotion comme une suite fidèle à l’esprit de la série culte des années 80, les Cités d’Or 2 ont visiblement fort déçu les fans de la première heure, dont une partie hurle même à la trahison. Remaniée afin de séduire un public plus jeune, la série aurait été infantilisée et aseptisée à l’extrême :

[…] les droits des musiques d’origine (jugées démodées) n’ont pas été rachetés. Les scénaristes japonais et les voix d’origine, comme celle de Jackie Berger (Esteban), ont été mis au placard. Le graphisme a été changé et les personnages, passés à la moulinette 3D, ont maintenant des visages froids, déformés et cireux.

Le caractère de certains héros a été modifié. Zia, réservée et douce, est désormais une fille libérée. Tao, habitué à cacher ses sentiments, pleure dès le premier épisode. La mise en scène a été changée. Américanisée, elle accumule maintenant les clichés hollywoodiens vus et revus : Mendoza saute comme Tom Cruise dans Mission Impossible, les ralentis à la Matrixfusent, le méchant ressemble à Dark Vador…

TF1 et le studio Blue Spirit, en charge de la production de cette suite, ont donc manifestement réussi, par un tour de force alchimique à l’envers, à transformer l’or en plomb en massacrant sur l’autel du formatage un classique du petit écran.

Devant cette dénaturation de l’esprit original de l’oeuvre, les fans se sont mobilisés, déjà pendant la production, par le biais d’une pétition pour que les voix des personnages principaux ne soient pas modifiées, comme le souhaitait TF1. Mais les choses vont à présent plus loin, car une nouvelle pétition a été lancée en juillet sur Facebook pour demander aux créateurs japonais de la série (Mitsuru Kaneko, Mitsuru Majima et Soji Yoshikawa) de reprendre purement et simplement leurs droits, afin de mettre fin au saccage.

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Appel aux créateurs japonais de la série.

Si on traduit en termes juridiques ce qui est en train de se produire, on a bien là un public qui demande à des auteurs de faire usage de leur droit moral sur l’oeuvre pour mettre fin à une dénaturation, ce qui bouleverse quelque peu le schéma habituel.

Car en effet, le droit postule que l’auteur est toujours le mieux placé pour défendre sa création. Les juges accordent même en France à l’auteur une sorte de « droit absolu » à juger ce qui constitue ou non une atteinte à son oeuvre, sans avoir à prouver un quelconque préjudice. Or, on voit ici que les choses sont plus complexes et qu’une communauté active de fans peut s’avérer un gardien plus intègre et plus sûrde l’esprit d’une oeuvre…

Le public contre l’auteur, au nom de l’intégrité de l’oeuvre

Cet exemple des Mystérieuses Cités d’Or n’est pas isolé et on peut citer d’autres cas célèbres où des créateurs se sont retrouvés pris à partie par leurs fans, les accusant d’avoir dénaturé leur oeuvre.

L’exemple le plus fameux est celui du conflit qui oppose depuis de nombreuses années Georges Lucas à la communauté des fans de Star Wars. Que ce soit à propos des modifications introduites par le réalisateur dans les rééditions en BlueRay de la première Trilogie ou carrément à propos de l’esprit tout entier de la nouvelle Trilogie, les fans se sont mobilisés contre ce qu’ils estiment être une trahison mercantile de l’oeuvre originale. Le reportage The People vs Georges Lucas paru en 2010 retrace les manifestations de ce véritable phénomène social, qui marque une étape dans l’émergence d’une culture participative caractéristique des mutations introduites par Internet.

Alexis Hyaumet, dans un article excellent (« Georges Lucas vs Star Wars« ) publié sur la plateforme Culture Visuelle, allait même jusqu’à se demander à qui finalement appartenait aujourd’hui Star Wars en tant qu’oeuvre, et il est certain que le récent rachat de la franchise par Disney ne fera qu’exacerber ces crispations :

À qui appartient Star Wars ? Qui en est aujourd’hui légitime après que son maître ait été désavoué par ses disciples les plus fidèles. […] Du fait de son histoire particulière et de son impact culturel mondial qui n’est plus à démontrer, Star Wars est un objet cinématographique hors normes et hors du commun. Victime de son succès, il appartient désormais au plus grand nombre, “il appartient au public” car il fait partie de son histoire culturelle, comme le soulignait Lucas face au Congrès en 1988. Le possessif créateur doit répondre à la demande du peuple qui réclame son œuvre avec une ferveur et un amour sans pareil. Preuve de cela, la quantité incroyable de fan films, de parodies et de montages alternatifs rebelles qui font dissidence, pour montrer à l’inflexible George Lucas d’aujourd’hui que son empire implacable a perdu toute légitimité sur l’univers Star Wars. Il serait temps pour le roi George de reconnaître, d’écouter et de respecter à leur juste valeur tous ses sujets, qui ont entretenu toutes ces années cette mythologie contemporaine, en répondant favorablement à leurs requêtes les plus essentielles. Quoi qu’il en soit, les fans se mobiliseront encore et toujours pour sauver ce qu’était Star Wars à l’origine, afin d’éviter que son propre créateur n’en devienne un jour son fossoyeur.

Un autre exemple significatif, sans doute moins connu que celui de Star Wars, concerne la série anime japonaise Neon Genesis Evangelion. Mettant en scène des combats de robots géants contre des monstres extraterrestres sur un fond d’intrigues mystiques particulièrement complexes, cette série souleva un violent mouvement de protestation chez ses fans, lorsque le réalisateur Hideaki Anno choisit de la faire se terminer en queue de poisson par un épisode complètement en porte-à-faux avec le reste, n’apportant pas les réponses auxquels le public s’attendait. Sous la pression des fans (qui alla jusqu’à des menaces de mort…), le studio Gainax obligea le réalisateur à produire une nouvelle fin sous la forme d’un film d’animation intitulé « The End of Evangelion« . Mais ce dernier est encore profondément imprégné du conflit entre le public et le créateur, car Hideaki Anno s’y livre à un véritable jeu de massacre de ses personnages et des lieux de l’action de la série, comme une sorte de vengeance s’exprimant dans une débauche de violence rageuse…

Plus proche de nous, on peut dire que le fameux épisode 9 de la saison 3 de Game Of Thrones a aussi failli tourner à l’affrontement sanglant entre le créateur, Georges R.R. Martin, et ses fans. En faisant mourir trois des personnages principaux de la saga de manière particulièrement brutale, l’auteur a causé un véritable choc à une partie des spectateurs (alors que l’histoire était pourtant identique dans les romans dont est tirée la série).

Georges R.R. Martin assume entièrement ce choix, qui relève selon lui pleinement de sa liberté de créateur. Mais on a vu des articles fleurir des articles sur la Toile se demandant si l’auteur avait le droit de faire mourir ainsi les personnages… Quelque chose est graduellement en train de changer et Internet n’est pas étranger à cette évolution.

Il existe déjà une théorie de l’abus de droit moral que les juges peuvent opposer à des descendants d’auteurs, mais c’est comme si la conscience collective considérait que cette doctrine pouvait être appliquée aux créateurs eux-mêmes aujourd’hui.

Nombreux sont les montages qui se moquent de la tendance de Georges R.R. Martin à faire mourir les personnages auquel son public tient le plus (cliquez sur l’image pour en découvrir d’autres).

Ce retour du public est un retour aux sources du droit d’auteur

Ces exemples montrent que la question du droit moral sur l’oeuvre est aujourd’hui  bouleversée et que ce fleuron du droit d’auteur à la française ne peut sans doute plus être pensé de la même manière aujourd’hui qu’au siècle dernier.

Il est certain que le numérique et Internet, en mettant le public en situation d’interagir de manière de plus en plus active avec l’oeuvre et son créateur, ont contribué à redéfinir l’équilibre. La formation de communautés de fans en ligne leur donne un sentiment de légitimité dans la défense de l’intégrité de l’oeuvre, y compris parfois contre les titulaires de droits eux-mêmes.

Avec des phénomènes comme le crowdfunding, où le public est directement sollicité pour participer au financement de la création, nul doute que ce sentiment d’ »avoir des droits » sur l’oeuvre ne pourra que se renforcer et qu’il deviendra de plus en plus difficile d’y résister. Sachant par ailleurs que le public a aussi la possibilité par le remix, le mashup ou les fanfictions, de se réapproprier les oeuvres, fût-ce dans l’illégalité, pour les « forker » contre la volonté de leurs auteurs…

Mais en fin de compte, est-ce que ce sentiment de propriété du public sur les oeuvres constitue vraiment une « anomalie » ? Ou n’est-ce pas plutôt la conception romantique d’un auteur tout-puissant, bénéficiant d’un droit absolu sur son oeuvre, qui n’était qu’une parenthèse historique en train de se refermer ? Voyez ce que disait Lechapelier en 1791, auteur de la première loi en France sur le droit d’auteur :

La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain ; c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés. Lorsqu’un auteur fait imprimer un ouvrage ou représenter une pièce, il les livre au public, qui s’en empare quand ils sont bons, qui les lit, qui les apprend, qui les répète, qui s’en pénètre et qui en fait sa propriété.

On répète toujours la première partie de cette citation, en oubliant la seconde, mais il est évident qu’Internet a donné au public les moyens de faire des oeuvres sa propriété. Et lorsque l’on regarde concrètement la manière dont les choses se passent, cette dialectique est une bonne chose, car le public s’avère parfois un meilleur défenseur du droit moral sur les oeuvres que les titulaires de droits eux-mêmes.

PS : si vous connaissez d’autres cas emblématiques de conflits entre des créateurs et leur public à propos de l’intégrité de l’oeuvre, merci d’avance de les indiquer en commentaire ! Cela m’intéresse beaucoup !

>>> Source sur : http://scinfolex.wordpress.com/2013/08/31/les-mysterieuses-cites-de-plomb-quand-le-public-se-fait-defenseur-du-droit-moral-sur-loeuvre/

>>> Conditions de réutilisation : CC0

Les mots ont un sens. Parler de monopole du droit d’auteur pour sauvegarder nos libertés.

George Orwell avait raison sur beaucoup de points et c’est effrayant, mais un point souvent négligé dans son œuvre est l’importance accordée à la langue. La langue définit nos réalités et nous incite à certaines valeurs, modes de communication et solutions. Parler de vol de la propriété intellectuelle ou de partage de la culture et la connaissance, c’est une guerre des mots.

Notre société devient un mix entre 1984 et Le meilleur des mondes. La novlangue y a pris toute sa place. Comme 1984, son rôle n’est jamais complètement central mais parcourt tout le scénario.

Le concept de novlangue était simple. Changez les expressions qui glorifient la libre pensée et la désobéissance et les gens auront du mal à conceptualiser les actes correspondant. Faire disparaître «désobéissance», c’est s’assurer l’obéissance.

À un moment dans 1984, les traducteurs de l’ancienne langue en novlangue disent qu’ils ont du mal à traduire la déclaration d’indépendance en novlangue. Il n’y a simplement aucun moyen d’exprimer la même chose. Orwell écrit une annexe pour s’expliquer : Tant que la langue a des mots pour la rébellion, la liberté de pensée et le désaccord, alors la société réussira à renverser tous les tyrans.

Les geeks et les nerds ne font pas toujours attention aux subtilités de la communication sauf quand il s’agit d’être techniquement précis. Mais hors de la technique, il vaut mieux être aussi conceptuellement précis. Certains mots sont positifs, d’autres négatifs. D’autres sont ambigus ou ambivalents. Certains évoquent la joie, d’autres le malaise. Et toujours, ceux qui gagnent la guerre des mots gagnent la guerre tout court.

Que l’industrie assène sans relâche le terme «Propriété Intellectuelle» n’est pas un hasard. Il s’agit d’y habituer le public et nos politiques. Ils veulent remplacer un monopole d’exploitation par la propriété parce que ce mot est positif et que toute violation de ces monopoles peut ensuite être qualifiée de vol. N’utilisezjamais ce mot.

La bonne manière pour imposer ses propres mots n’est pas de corriger sans cesse les autres. Ça serait fatigant et malpoli. C’est d’utiliser sans cesse et avec cohérence votre propre vocabulaire. Utilisons la langue pour décrire le monde tel que nous le voyons, pas tel que l’on voudrait qu’on le voit.

N’oubliez pas que copier c’est aimer. Copier c’est partager. Chaque fois que vous copiez le vocabulaire d’un adversaire des libertés civiles, vous perdez inconsciemment. Vous vous mettez votre public à dos. Si au contraire vous utilisez les bons termes, les gens s’en imprégneront sans s’en rendre compte. Et j’insiste, ne faites pas la leçon sans cesse.

Voilà quelques mots qui devraient être changés immédiatement:

  • Industrie du droit d’auteur : Utilisez ce mot au lieu d’industrie de la musique ou du film. Cela montre à quel point les intermédiaires sont des parasites monopolistiques inutiles qui lobbyisent industriellement.
  • Partage de la culture et du savoir : Remplacez «partage de fichier» ou «piratage» par ce terme. Le partage de fichier a l’air trop technique et ne rend pas compte de l’utilité de l’acte. Pirater vous fait passer pour un héros rebelle alors qu’il s’agit d’un acte on ne peut plus banal. Insister sur la culture et/ou le savoir est au contraire fondamentalement positif pour tout un chacun et techniquement plus approprié. Ceux qui partagent la culture ne devraient pas être punis mais récompensés.
  • Monopole du droit d’auteur : N’utilisez pas les termes «droit d’auteur» ou «copyright» seuls. Les droits sont positifs, comme le droit à la liberté d’expression. Alors qu’en réalité c’est un «droit» à un monopole d’exploitation, ce qui est moins seyant.
  • Monopole du brevet : Idem.
  • Protectionnisme industriel : Si vous ne pouvez pas vous empêcher d’utiliser le terme PI, qui désigne habituellement la propriété intellectuelle, remplacez l’abréviation par du protectionnisme, à connotation largement négative.
  • Copies fabriquées/réalisées: Essayez d’éviter de parler de téléchargement. Ça implique qu’on prend quelque part. Dites plutôt que les gens utilisent leur propre matériel pour fabriquer/réaliser des copies. Ça montre à quel point le monopole du droit d’auteur essaye de limiter nos activités légitimes. Cela donne des expressions comme «en réalisant ma propre copie de la culture».
  • Mécanismes de restriction numérique: Ne dites pas DRM pour «gestion des droits numériques» en anglais. Ne parlez pas non plus de protection. Parlez de restriction, car c’est là l’essence du mécanisme.

On peut bien sûr trouver des tonnes d’autres exemples, mais voilà un début. Souvenez vous que les mots ont un sens. Prenez le bon. Faites attention aux subtilités de la langue.

>>> Source sur : http://politiquedunetz.sploing.fr/2013/07/les-mots-ont-un-sens-parler-de-monopole-du-droit-dauteur-pour-sauvegarder-nos-libertes/

Les Google Glasses peuvent-elles changer le statut juridique de la vision ?

Les articles se sont multipliés à propos des Google Glasses depuis quelques semaines et nombreux sont ceux qui ont souligné que ce nouvel objet connecté soulevait des difficultés juridiques potentielles, notamment en termes de protection de la vie privée. Plusieurs lieux physiques ont déjà annoncé qu’ils entendaient interdire l’usage de ces lunettes dans leur enceinte, comme un bar, un club de streap-tease, un casino ou encore une salle de cinéma.

F.A.T. GOLD @eybeam – YOUR ART!! party. Par agoasi. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr

Le fait que les Google Glasses suscitent l’inquiétude d’un cinéma nous ramène sur le terrain du droit d’auteur et de la contrefaçon, car il est évident que cet outil facilitera grandement les possibilités de se livrer à la pratique du camcording, l’enregistrement de films lors de leur passage en salle, l’un des cauchemars de l’industrie cinématographique.

Un écran en permanence devant nos yeux

Avec un tel appareil capable de photographier ou de filmer avec facilité directement ce que nous voyons et de le partager instantanément à distance, les possibilités de violer les droits d’auteur attachés sur les objets dans notre environnement, comme les oeuvres architecturales,  sont augmentées. Mais pas tellement davantage que celles offertes par les smartphones qui ont déjà mis à la portée du plus grand nombre des appareils de reproduction connectés, en faisant trembler au passage les limites étroites de la copie privée

A mon sens, la vraie rupture introduite par les Google Glasses en terme de droit d’auteur est d’une autre nature. Ce n’est pas tellement du côté de la reproduction qu’il faut se pencher, mais plutôt de celui de l’autre droit patrimonial : le droit de représentation.

Le problème vient du fait que ces lunettes interposent entre notre regard et le monde qui nous entoure un écran, invisible certes, mais susceptible de provoquer des turbulences juridiques redoutables. En effet, le fait que les ordinateurs aient obligé l’acte de lecture à passer par la médiation d’un écran a provoqué une extension considérable du champ d’application du copyright.

Lorsque vous entrez dans une bibliothèque ou dans une librairie et que vous commencez à lire un livre de vos propres yeux, l’acte que vous accomplissez n’est pas saisi par le droit d’auteur. Cette lecture « naturelle » n’est pas assimilée juridiquement à une forme de représentation ou de « communication au public ». Mais lire ce même ouvrage, transformé en eBook à partir des écrans des ordinateurs de la bibliothèque, relève bel et bien d’un acte de représentation, soumis au droit exclusif des auteurs et de leurs ayants droit.

La médiation par les écrans a eu pour effet que des contemplations privées, et même purement solitaires d’oeuvres, ont été soumises au droit d’auteur : lorsque je lis un livre dans ma chambre, le droit d’auteur n’a absolument rien à voir (c’est le cas de le dire) avec cet acte, mais si je regarde la télévision, il entre dans la pièce par l’écran.

Un voile juridique sur le réel

Porter des Google Glasses, c’est accepter constamment qu’un voile numérique couvre notre regard et se pose sur le monde environnant. La vision se transforme en une perpétuelle représentation, alors que cela n’arrivait auparavant que lorsque nous jouissions d’oeuvres dans les conditions d’une communication au public (assister à une pièce de théâtre ou voir un film). Mais nous pouvions encore regarder librement des monuments, des statues ou des affiches protégés dans la rue, sans que notre regard ne soit saisi par le droit d’auteur.

Par tryingmyhardist. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr

Par rapport à la simple télévision qui ne stocke rien, les écrans des ordinateurs sont plus redoutables encore, car tout affichage d’une oeuvre à l’écran suppose une reproduction quelque part dans la mémoire de la machine, assimilable à une copie. Et cette copie, fût-elle transitoire et fugace, est susceptible de déclencher l’application du droit d’auteur. Ce phénomène d’extension du domaine de la copie par le numérique a très bien été décrit par Siva Vaidhyanathan :

Le moment numérique a fait s’effondrer la distinction entre trois processus auparavant différents : accéder à une œuvre, utiliser ou lire une œuvre, et copier une œuvre. Dans l’environnement numérique, on ne peut accéder à un article de presse sans en faire de nombreuses copies. Si je veux partager un article avec un journal en papier avec un mai, je n’ai qu’à lui donner cet objet. Je n’ai pas à en faire de copie. Mais dans l’environnement numérique, c’est nécessaire. Quand je clique sur le site internet qui contient l’article, le code dans la mémoire vive de mon ordinateur est une copie. Le code source en langage html constitue une copie. Et l’image de l’article à l’écran est une copie. Si je veux qu’un ami lise également cette information, je dois en faire une nouvelle copie attachée à un mail. Ce mail aboutira à une autre copie sur le serveur de mon ami. Et ensuite, mon ami fera une nouvelle copie sur son disque dur en recevant ce message et d’autres encore dans sa mémoire vive et sur son écran en lisant.Le droit d’auteur a été conçu pour réguler seulement la copie. Il n’ était pas supposé réguler le droit de lire et de partager. 

Lire le monde et en garder copie

Le droit d’auteur n’avait donc pas vocation à s’appliquer à l’acte de lecture, mais la multiplication des écrans lui a permis de le faire. Les Google Glasses constituent un nouveau stade dans cette évolution, qui transforme toute vision en lecture potentielle.

On trouve sur Canard PC un article passionnant de science-fiction juridique intitulé « Johnny Mnemonic est-il coupable ? », qui se demande ce qui se produirait si on considérait le cerveau comme un espace de stockage, à l’instar d’un disque dur d’ordinateur. L’auteur se pose ensuite la question complexe de savoir si nous sommes responsables lorsque nous regardons des oeuvres diffusées illégalement en streaming :

Bon, mais qu’en est-il du spectateur ? Ce dernier commet-il également une contrefaçon, rien qu’en regardant ou en écoutant l’oeuvre streamée ? […] Regarder ou écouter une oeuvre diffusée illégalement, s’il n’y avait pas de copie de cette dernière, serait-il légal ? Pour bien répondre à la question, imaginons une technologie qui diffuse l’oeuvre par des ondes qu’un récepteur reçoit et lit sans rien copier, oui, comme la radio ou la télévision d’antan, à cette époque lointaine où les dinosaures marchaient sur la terre et où les disques durs et les mémoires caches ne se trouvaient pas dans tous les appareils […] Le seul fait de regarder ou d’écouter passivement une oeuvre de l’esprit diffusée en fraude des droits de l’auteur, sans avoir participé à cette diffusion, ne m’apparaît pas illégal ![…] Dire l’inverse reviendrait à ce que le stockage de l’oeuvre dans votre cerveau, sans autorisation de l’auteur, soit illégal. Pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là.

Avec les Googles Glasses, on se trouve en présence d’un appareil qui dispose bien d’une telle mémoire cache et qui donc transforme notre vision en un flux de streaming continu. Plus besoin de passer par la fiction du cerveau qui stocke les oeuvres, puisque ce sont les lunettes qui réalisent cet acte de copie transitoire comme un écran.

Réalité augmentée, réalité recréée

On pourra me rétorquer que ce raisonnement ne tient pas, parce que nous n’avons pas continuellement des oeuvres protégées sous les yeux et c’est vrai. Mais les Googles Glasses permettent de proposer une réalité « augmentée » sur laquelle vient se surajouter des couches diverses, qui pourront très bien finir par être assimilées à des oeuvres de l’esprit. Imaginons des applications qui modifient les couleurs de notre environnement, un peu comme des filtres Instagram permanents. Voilà le réel qui prendrait soudain les allures d’une oeuvre ! Et les lunettes permettront sans doute rapidement de transformer les surfaces autour de nous – les murs,  les bus et les voitures, les tshirt des passants, le ciel, etc- précisément en écrans où l’on pourra choisir d’afficher des projections (vous ne voyez pas par exemple Google proposer d’y afficher de la pub en « louant » de nouveaux espaces dans la réalité elle-même ? Je parie qu’il le fera comme il offre de louer les espaces de nos sites internet).

Second Life, Woman, Eyes Wide Shut. Par yukali. CC-BC-NC-ND.

On arriverait à un état où la réalité deviendrait saturée en permanence de propriété intellectuelle. A vrai dire, une telle situation a déjà existé, mais dans les mondes virtuels comme Second Life ou World Of Warcraft, où toute chose est assimilable à une création protégée. J’avais d’ailleurs écrit il y a quelques années un billet pour étudier les conséquences juridiques de ce « panthéisme » du copyright :

A la différence du monde réel, où des pans entiers de notre environnement n’ont pas été « créés » et échappent (encore…) à l’emprise du droit d’auteur, tous les éléments constitutifs de Second Life sont des créations et peuvent être considérés comme des œuvres de l’esprit protégées. Ce caractère « démiurgique  » des univers persistants n’est pas sans conséquence juridique.

L’autre risque possible, si les Google Glasses ou des dispositifs similaires venaient à proliférer, c’est que des acteurs puissants essaient de s’arroger un droit de propriété sur le spectacle même de la réalité. On pourra juger cette hypothèse peu crédible, mais le Code du Sport prévoit déjà par exemple que les photographies prises lors d’une compétition appartiennent automatiquement aux fédérations sportives, ce qui ouvre la porte à une forme d’appropriation directe du réel, alors même que les performances sportives ne sont pas considérées comme des oeuvres ou des interprétations. Et l’on sait lors des derniers JO à Londres le CIO a déployé des moyens féroces pour contrôler les images qui étaient prises de compétitions. Que n’aurait-il fait s’il avait pu s’en prendre directement au regard des spectateurs !

Google Glasses, mauvais oeil ?

Si nous sommes plongés en état de constante représentation par des appareils comme des Google Glasses, nul doute qu’il y aura un intérêt majeur à ce que les évènements en eux-même puissent faire l’objet d’un droit exclusif et non plus seulement leur enregistrement.

Voilà ce qui pourra peut-être se produire lorsque nous aurons le droit d’auteur attaché à la prunelle de nos yeux…

Mise à jour du 18 avril 2013 : Cela n’a pas directement de liens avec l’angle d’attaque de ce billet, mais cet article nous apprend que Google interdit, via la licence d’utilisation de ses lunettes de les revendre ou de les louer, mais aussi simplement de les prêter ou de les donner ! Soit des restrictions qui vont bien plus loin que celles des smartphones et des tablettes par exemple…

>>> Source sur : http://scinfolex.wordpress.com/2013/04/12/les-google-glasses-peuvent-elles-changer-le-statut-jurudique-de-la-vision/

Le monde dystopique d’Oz, ou les avanies du domaine public sans copyleft

En mars dernier, est sorti sur les écrans le film Le Monde Fantastique d’Oz (Oz, The Great and Powerful en anglais), réalisé par Sam Raimi et produit par les studios Disney. L’arrière-plan juridique dans lequel la création de ce film s’est déroulé mérite que l’on s’y attarde, car Disney a dû traverser un véritable parcours du combattant pour parvenir à faire sortir ce film en évitant les poursuites en justice.

Le roman original de L. Franck Baum, paru pour la première fois en 1900, est pourtant dans le domaine public, mais le célèbre film de 1939 avec Judy Garland reste quant à lui protégé. Les droits appartiennent à la Warner Bros. qui défend encore férocement ses titres de propriété sur la véritable poule aux oeufs d’or que constitue l’univers du Magicien d’Oz (le film le plus regardé de toute l’histoire du cinéma d’après la Bibliothèque du Congrès).

Couverture originale du roman Le Magicien d’oz, 1900. Domaine public.

Source : Wikimedia Commons.

Le domaine public garantit normalement la possibilité de réutiliser et d’adapter une oeuvre sans entrave, y compris en vue d’une exploitation commerciale. Mais l’exemple du magicien d’Oz montre que la réalité est bien plus complexe, dans la mesure où des droits peuvent facilement renaître sur le domaine public, assurant à des tiers de nouveaux titres de propriété exclusive. On en vient même à se dire que le domaine public serait mieux protégé si un mécanisme proche de celui du copyleft lui était appliqué, afin d’empêcher que les oeuvres ne soient saisies par de nouvelles enclosures.

L’enveloppe utilisée par L. Franck Baum pour enregistrer le copyright sur une comédie musicale tirée de son roman Le magicien d’Oz (Bibliothèque du Congrès)

Oz et la magie noire du Copyright

Le problème avec le magicien d’Oz provient en réalité d’une affaire antérieure, qui avait opposé la Warner, titulaire des droits sur le film de 1939, à une entreprise ayant réalisé des T-shirts à l’effigie des personnages de l’univers d’Oz. Les juges ont alors rendu une décision complexe qui a admis que les droits de la Warner avaient été violés, sur la base d’une « protection des personnages » (character protection), quand bien même le roman original était dans le domaine public.

La justice américaine a en effet estimé que les personnages dans le film possédaient des « caractères spécifiques et largement identifiables« , détachables des figures présentées dans le livre. Leur raisonnement consistait à dire qu’il était désormais impossible de se représenter un personnage comme Dorothy sans penser à l’interprétation de Judy Garland, comme si une « couche mémorielle » s’était ajoutée en surimpression sur l’oeuvre originelle.

Les Tshirts de la discorde, proches en effet des personnages du film de 1939.

Réagissant à cette décision, le site Techdirt avait immédiatement compris qu’elle comportait quelque chose de redoutable pour le domaine public. Car une telle conception signifiait d’une certaine façon que les réutilisations d’une oeuvre du domaine public étaient désormais susceptibles de « rétroagir » sur l’oeuvre original et d’en limiter la disponibilité. Cette crainte était confirmée par un juriste américain commentant la décision :

Tous les réalisateurs qui voudront créer une nouvelle adaptation d’une oeuvre littéraire – même si elle appartient au domaine public – devront prendre garde à ne pas utiliser des éléments copyrightés attachés à des personnages apparus dans des adaptations filmographiques antérieures à la leur. Bien entendu, quand il s’agira d’une interprétation par des acteurs de personnages fictifs, ce sera plus facile à dire qu’à faire…

S’agissant du magicien d’Oz, outre l’interprétation des acteurs, il existe des différences importantes introduites dans le film de 1939 par rapport au roman de L. Franck Baum. Dorothy par exemple porte des chaussures de rubis, alors que le roman parle de chaussures d’argent. Cette modification avait été apportée afin de tirer le meilleur parti du procédé Technicolor utilisé pour le film. De la même façon, la Sorcière de l’Ouestinterprétée par Margaret Hamilton dans le film avait la peau verte pour ressortir à l’écran, alors que ce détail n’est pas mentionné dans le livre. Une route de briques rouges a également été ajoutée dans le film, alors que dans le roman, il n’existe qu’une route de briques jaunes (Yellow Brick Road) que Dorothy et ses amis suivent au cours de leur voyage. Toutes ces différences propres au film de 1939, ainsi bien entendu que les chansons comme Over The Rainbow, restent encore pleinement protégées par le droit d’auteur et il n’était pas possible pour Disney de les réemployer pour son propre film.

Les fameux souliers de rubis de Dorothy dans le film de 1939

(Par Dbking. CC-BY. Source : Wikimedia Commons).

Ces multiples difficultés créaient un véritable casse-tête légal qui ont conduit Disney à faire des choix artistiques radicaux pour éviter les foudres judiciaires de la Warner.

Comment les juristes ont écrit le scénario du Monde fantastique d’Oz…

Quand on parcourt certains articles écrits à propos des déboires rencontrés par Disney, on est frappé de voir à quel point les contraintes légales ont pesé sur les choix artistiques pour ce film. En 2011, on pouvait lire que le design du smartphone Samsung Galaxy SIIIavait été entièrement conçu par des juristes pour éviter les poursuites d’Apple. Le Monde Magnifique d’Oz est sans doute un film qui a été autant élaboré par des avocats que par des scénaristes, et il y a quelque chose d’assez dérangeant à se dire que nous vivons dans un monde où une telle aberration est possible…

Page manuscrite du script d’une comédie musicale tirée

par L. Franck Baum de son roman en 1903 (Bibliothèque du Congrès).

Il est clair que Disney aurait préféré proposer sa propre adaptation du roman de Baum (Disney s’est en même fait souffler les droits en 1937 par la Metro-Goldwin-Meyer, qui a pu réaliser le film de 1939, pour les revendre ensuite à la Warner). Mais devant les difficultés légales, Disney a préféré jouer la carte de la sécurité en réalisant une prequel de l’histoire décrite dans le Magicien d’Oz. Un tel choix lui évitait notamment de reprendre des personnages à hauts risques, comme Dorothy. L’histoire est ainsi centrée sur le personnage même du magicien d’Oz, qui apparaît très peu dans le roman et par conséquence, dans la comédie musicale. Bien entendu, il fallait néanmoins que les équipes de Disney se raccrochent à l’univers du monde d’Oz, mais en introduisant des différences sensibles par rapport à la vision donnée par le film de 1939.

Illustration de l’édition du Magicien d’Oz de 1900.

Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Les avocats de Disney sont lourdement intervenus durant la production et ils ont par exemple insisté pour que les fameux singes ailés soient modifiés afin de ressembler davantage à des babouins aux dents acérées. Une attention particulière a été portée  à l’apparence des Munchkins, des nains décrits dans le roman comme arborant d’étranges coiffures bouclées. Les avocats de Disney ont estimé après le tournage que la coupe qu’ont leur avait donné était trop proche de celle du film de 1939 et il a fallu que les équipes de Sam Raimi les modifie image par image en retouche numérique lors de la post-production.

Mais le summum du délire a été atteint à propos de la couleur de peau de la Sorcière de l’Ouest.  Howard Berger, le maquilleur attaché au film a dû déployer des trésors d’ingéniosité pour arriver à une teinte validée par les avocats de Disney. Le résultat s’appelle paraît-il le « Théostein », en référence au nom de la sorcière et à… Frankenstein ! D’autres éléments du costume de ce personnage interprété par Mila Kunis ont visiblement fait l’objet de longues discussions légales, comme la forme de son chapeau ou son bustier…

La nouvelle sorcière de l’Ouest et l’ancienne : fifty shades… of green !

Malédiction du droit des marques

Le droit d’auteur n’est pas le seul problème auquel Disney a dû faire face pour ce film. La Warner défend avec beaucoup d’agressivité les nombreuses marques qu’elle a déposées au fil du temps sur l’univers d’Oz. La firme est déjà intervenue par le passé pour interdire l’usage de désignations comme « Wizard of Azz », « Wicked of Oz », ou « Flying Monkeys Vine », susceptibles de lui faire de l’ombre.

En octobre dernier, Warner a tenté un coup de poker tordu envers Disney en essayant de déposer comme marque les termes « The Great and Powerful Oz« . Elle espérait parvenir à le faire avant que Disney n’ait réussi à protéger le titre de son film, pour pouvoir vendre à sa guise des produits dérivés en empêchant son concurrent de le faire… Mais c’était déjà une semaine trop tard, car Disney avait déjà pris ses précautions en déposant une demande auprès de l’office des marques des Etats-Unis.

Pour Disney, voilà la vraie poule aux oeufs d’or, et vraisemblablement ce qui a poussé la firme à produire ce film, malgré les difficultés.

Ce n’est pas la première fois que l’on constate que le droit des marques peut sérieusement interférer avec le domaine public, en étant détourné de son but à des fins de copyfraud. Les personnages de Tarzan, de Sherlock Holmes ou encore récemment deZorro ont ainsi fait l’objet de revendications de la part d’ayants droits sur la base du droit des marques pour tenter de récupérer un contrôle sur des oeuvres, une fois celles-ci entrées dans le domaine public.

Faire évoluer le domaine public en un domaine commun ?

Au vu de cet exemple du Magicien d’Oz, le site Techdirt estime que le domaine public s’est transformé en un véritable champ de mines, tant les obstacles sont nombreux pour ceux qui veulent y puiser pour créer à leur tour. Quelque part, il est ironique que ce soit une firme comme Disney qui soit « victime » de ces entraves, vu qu’il s’agit certainement d’un des plus grands voleurs de propriété intellectuelle au monde, qui a bâti son empire sur le domaine public, en puisant dans le fonds commun des contes et légendes, tout en le démolissant par ailleurs par son lobbying en faveur de l’allongement de la durée des droits (le funeste Mickey Mouse Act).

Mais cette affaire soulève des questions troublantes sur le statut juridique du domaine public lui-même. Le domaine public doit normalement servir à constituer la culture en un Bien Commun de l’Humanité, mais comment serait-ce possible s’il devient si simple de reposer des enclosures sur ce qui devrait rester disponible pour tous ? Dans l’ouvrage « Libres Savoirs : les biens communs de la connaissance« , il y a un article écrit par Madhavi Sunder et Anupam Chander, nous mettant en garde contre une conception « romantique » du domaine public, que son ouverture même laisse à la merci de toutes les formes de réappropriation. Les auteurs le déplorent à propos des savoir traditionnels des pays du Sud, qui se sont fait piller sans vergogne par les nations industrialisées, à défaut d’être correctement protégés. Mais la même question se pose pour le patrimoine culturel, lorsque l’on voit les comportements de prédateurs de firmes comme Warner ou Disney.

Imaginons un instant que l’oeuvre de L. Frank Baum soit placée sous un régime juridique de copyleft, avec une condition de partage à l’identique (Share Alike). Cette lutte délétère entre Warner et Disney deviendrait sans objet et même les chaussures de rubis de Dorothy ou la peau verte de la Sorcière de l’Ouest seraient alors librement réutilisables, à condition de ne pas chercher à supprimer cette liberté offerte à tous.

Dans le projet de loi pour le domaine public que j’ai proposé, j’ai déjà commencé à m’attaquer au problème des enclosures, en essayant d’introduire des mécanismes visant à neutraliser la possibilité de faire renaître des droits sur le domaine public. Peut-être faut-il aller plus loin et proposer un dispositif de protection plus puissant inspiré du copyleft ? Dans le même ordre d’idée, un penseur important des biens communs, David Bollier, pense de son côté que l’on devrait appliquer un copyleft pour protéger les semences et les gènes, qui font eux-aussi l’objet de tentatives gravissimes d’appropriation.

Ce serait alors faire évoluer le domaine public vers un domaine commun.

PS : sur Internet Archive, on trouve la première édition du Magicien d’Oz, superbement illustrée et diffusée dans le respect son appartenance au domaine public. Merci @PoivertGBF pour me l’avoir signalée !

>>> Source : http://scinfolex.wordpress.com/2013/03/17/le-monde-dystopique-doz-ou-les-avanies-du-domaine-public-sans-copyleft/

>>> Licence : Domaine Public

Le futur du livre

L’industrie de la musique est l’exemple même de la transition ratée entre un marché matériel et virtuel. Un concentré de mauvaises pratiques et de pièges à éviter.

Mais on aurait tort de croire ce cas isolé. L’industrie musicale n’a été qu’une des premières à essuyer les plâtres. Avec l’avènement des imprimantes 3D et des liseuses électroniques, la majorité des industries vont tôt ou tard être confrontées à la virtualisation.

Livres ouverts

Cette virtualisation s’accompagne toujours d’une remise en question et d’un retour aux fondamentaux. Prenons un exemple très simple avec le monde de l’édition.

Un auteur qui a écrit un livre désire trois choses :

  1. Voir son texte corrigé et amélioré.
  2. Atteindre le maximum de lecteurs.
  3. Recevoir le maximum d’argent.

La priorité entre ces trois besoins diffère d’un auteur à l’autre mais ce sont les fondamentaux. Ces services sont exactement ce qu’un éditeur traditionnel fournit à un auteur.

Cependant, ce service est fort cher, l’auteur ne touchant que quelques pourcents du prix de vente d’un livre. Il impose également une barrière arbitraire à l’entrée : l’éditeur lira un manuscrit et n’acceptera d’aller plus loin que si il est certain de faire un bénéfice. Les refus successifs essuyés par J. K. Rowling pour Harry Potter montrent bien que ce système a ses limites. Combien d’Harry Potter moisissent aujourd’hui sur un disque dur car les éditeurs contactés ne sont tout simplement pas en phase avec le public ou parce que les auteurs n’ont pas eu l’opiniâtreté de Rowling ?

Mais la virtualisation risque, une fois encore, de bouleverser la donne…

>>> Licence : Creative Commons By.

Eléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées

Après le rejet du traité ACTA par le parlement européen, une période s’ouvre dans laquelle il sera possible, si nous nous en donnons les moyens, d’installer un nouveau cadre réglementaire et politique pour l’ère numérique. Un grand nombre de citoyens et de députés européens adhèrent au projet de réformer le droit d’auteur et le copyright. Le but de cette réforme est que chacun d’entre nous puisse tirer tous les bénéfices de l’ère numérique qu’il s’agisse de s’engager dans des activités créatives ou d’expression publique, ou d’en partager les produits. Dans les mois et années qui viennent, les questions clés seront : quels sont les vrais défis de cette réforme ? Comment y faire face ?

Ce texte, disponible en français et anglais, fournit une réponse à la première question et un ensemble cohérent de propositions pour aborder la seconde. Ces propositions portent sur la réforme du droit d’auteur et du copyright, mais aussi sur les politiques liées en matière de culture et de médias. Ces éléments pourront être utilisés par les acteurs qui portent des réformes selon leurs propres orientations. On prendra garde cependant à l’interdépendance entre les diverses propositions. Le texte a été rédigé par Philippe Aigrain et a bénéficié des contributions de Lionel Maurel et Silvère Mercier et de la relecture critique des animateurs de La Quadrature du Net. Il est publié en parallèle sur le blog de l’auteur et sur le site de La Quadrature du Net.

>>> Source & Suite sur : http://www.laquadrature.net/fr/elements-pour-la-reforme-du-droit-dauteur-et-des-politiques-culturelles-liees

Lire la suite « Eléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées »

Un monde sans copyright… et sans monopole

Je vous invite à lire le livre Un monde sans copyright… et sans monopole publié par Framabook et dont voici l’introduction :

Le droit d’auteur confère aux auteurs le contrôle exclusif sur l’exploitation d’un grand nombre de créations artistiques. Souvent, ce ne sont pas les auteurs qui détiennent ces droits, mais de gigantesques entreprises à but culturel. Elles ne gèrent pas seulement la production, mais aussi la distribution et le marketing d’une vaste proportion de films, musiques, pièces de théâtre, feuilletons, créations issues des arts visuels et du design. Cela leur donne une grande marge de manœuvre pour décider de ce que l’on voit, entend ou lit, dans quel cadre, et, par-dessus tout, de ce que l’on ne peut pas voir, lire ou entendre.
Naturellement, les choses pourraient atteindre un stade où la numérisation permettra de réorganiser ce paysage hautement contrôlé et sur-financé. Cependant, on ne peut en être sûr. Partout dans le monde, la quantité d’argent investi dans les industries du divertissement est phénoménale. La culture est le nec plus ultra pour faire du profit. Il n’y a pas de raison d’espérer, pour le moment, un quelconque renoncement à la domination du marché de la part des géants culturels, que ce soit dans le vieux monde matériel ou dans le monde numérique.

Nous devons trouver le bon bouton pour sonner l’alerte. Lorsqu’un nombre limité de conglomérats contrôle la majorité de notre espace de communication culturelle, cela a de quoi ébranler la démocratie.
La liberté de communiquer pour tous et les droits de chacun à participer à la vie culturelle de sa société, comme le promeut la Déclaration universelle des droits de l’homme, peuvent se trouver dilués au seul profit de quelques dirigeants d’entreprises ou d’investisseurs et les programmes idéologiques et économiques qu’ils mettent en œuvre.
Nous sommes convaincus que ce choix n’est pas une fatalité. Néanmoins, s’il est possible de créer un terrain commun, le droit d’auteur présente selon nous un obstacle. Corrélativement, nous avons remarqué que les bestsellers, blockbusters et stars des grosses entreprises culturelles ont un effet défavorable. Ils dominent le marché à un tel point qu’il y a peu de place pour les œuvres de nombreux autres artistes poussés à la marge, là où il est difficile pour le public de découvrir leur existence.
Dans le premier chapitre, nous analyserons les inconvénients du droit d’auteur qui rendent illusoire l’idée d’y placer davantage d’espérances. Comme nous ne sommes pas les seuls à être conscients que cet instrument est devenu problématique, nous consacrerons le second chapitre aux mouvements qui tentent de remettre le droit d’auteur sur la bonne voie.

Or, bien que nous soyons impressionnés par les arguments et les efforts de ceux qui essayent de trouver une alternative, nous sentons qu’une approche plus fondamentale, plus
radicale, nous aidera plus tard, au XXIe siècle. C’est ce que nous exposerons dans le chapitre 3. Nous nous efforcerons alors de créer un terrain commun pour les très nombreux entrepreneurs du monde culturel, y compris les artistes. En effet, d’après notre analyse, il n’y a plus aucune place sur ce terrain de jeu ni pour le droit d’auteur ni pour les entreprises qui dominent d’une manière ou d’une autre les marchés culturels.

Voici nos prévisions :

– Sans la protection de l’investissement du droit d’auteur, il ne sera plus rentable de faire de gigantesques dépenses dans les blockbusters, les bestsellers et les vedettes. Ils ne seront alors plus en mesure de dominer les marchés.

– Les conditions du marché qui permettent l’apport financier à destination de la production, de la distribution ou du marketing, n’existeront plus. Le droit de la concurrence et la régulation de la propriété sont des outils exceptionnels pour niveler les marchés.


– Dès lors, notre héritage passé et présent d’expression culturelle, les biens communs de la créativité artistique et de la connaissance, ne seront plus privatisés.


Le marché sera alors tellement ouvert que de très nombreux artistes, sans être dérangés par les « géants » du monde culturel, seront capables de communiquer avec le public et de vendre plus facilement leurs œuvres. Dans le même temps, ce public ne sera plus saturé de marketing et sera capable de suivre ses propres goûts, de faire des choix culturels dans une plus grande liberté. Ainsi, par de courtes études de cas, le chapitre 4 montrera comment nos propositions peuvent réussir.
Nous sommes conscients de proposer là d’importants bouleversements. Parfois, cette pensée a de quoi rendre nerveux. Nous voulons diviser les flux financiers des segments majeurs de nos économies nationales et de l’économie globale — ce que sont les secteurs culturels — en portions bien plus petites. Cela impliquera une restructuration du capital d’une portée incommensurable et quasiment sans précédent. En conséquence, les industries culturelles, dans lesquelles les chiffres d’affaires atteignent des milliards de dollars, seront totalement bouleversées. Nous n’avons guère de prédécesseurs ayant visé aussi systématiquement à construire des conditions de marché totalement novatrices pour le champ culturel, ou du moins à poser les fondations théoriques de cette construction.

Sans vouloir nous comparer à lui, c’est un réconfort pour nous de savoir que Franklin D. Roosevelt n’était pas conscient lui non plus de ce qu’il faisait en lançant son New Deal. Et pourtant il l’a fait, et démontré qu’il était possible de réformer fondamentalement les conditions économiques.
Cela nous donne l’audace et le cran d’offrir notre analyse et nos propositions à la discussion et à l’élaboration ultérieures. Aussi, nous fûmes agréablement surpris de lire dans le New York Times, le 6 juin 2008, les propos de Paul Krugman, Prix Nobel d’économie :

« Octet par octet, tout ce qui peut être numérisé sera numérisé,

rendant la propriété intellectuelle toujours plus facile à copier

et toujours plus difficile à vendre au-delà d’un prix symbolique.

Et nous devrons trouver les modèles d’entreprises

et les modèles économiques qui prennent cette réalité en compte. »


Élaborer et proposer ces nouveaux modèles d’entreprise et d’économie est précisément ce que nous faisons dans ce livre.
Vous pouvez voir, d’après le résumé des chapitres, que ceci n’est pas un livre sur l’histoire du droit d’auteur ou sur son fonctionnement actuel. Beaucoup d’excellentes publications, desquelles nous nous sentons redevables, peuvent être consultées sur ces sujets.


Pour une présentation sommaire des principes basiques du droit d’auteur et des controverses qui l’entourent, vous pouvez aussi vous reporter, par exemple, à la page Wikipédia consacrée à ce sujet.
Nous n’avons pas orienté notre travail vers la création d’inutiles catégories comme le pessimisme ou l’optimisme culturel. Notre force motrice est un réalisme terre-à-terre ; si le droit d’auteur et le marché existants ne peuvent être justifiés, nous ressentons le devoir de nous demander que faire à ce sujet.
La distinction entre les prétendus arts majeurs et arts mineurs, ou entre les cultures élitistes, de masse, ou populaires, n’est pas non plus ce qui nous intéresse. Un film est un film, un livre est un livre, un concert est un concert, et ainsi de suite. Le cœur du sujet est
donc de savoir quelles sont les conditions — bonnes, mauvaises ou pires — pour la production, la distribution, la commercialisation et la réception de tout cela et, par conséquent, quel genre d’influence ces œuvres ont sur nous de façons individuelle et collective ?

Certes, de nombreuses controverses sont prévisibles : quel artiste doit être élevé au rang de célébrité, par qui, pourquoi, et dans l’intérêt de qui ? Et qui va échouer, ou être mis aux fers pour ce qu’il ou elle a créé ? Notre objectif dans cette étude est de mettre en évidence le
fait qu’une réelle diversité et, par conséquent, une pluralité dans les formes d’expression artistique peuvent avoir une raison d’être — et que les conditions économiques peuvent être créées pour en faciliter l’expansion.

En fait, nous utilisons la notion de droit d’auteur pour couvrir deux concepts qui se différencient : le droit de copier n’est pas la même chose qu’un droit établi pour défendre les intérêts des artistes — ou auteurs, tels qu’ils sont collectivement appelés dans l’expression française de « droit d’auteur ». Dans la loi et l’usage international, cependant, les deux concepts ont été fusionnés dans un terme anglais : « copyright ». Toutes les différences résiduelles entre les deux appellations sont hors sujet pour notre propos, puisque nous demandons, en fin de compte, l’abolition du droit d’auteur. Aussi, lorsque nous parlerons d’« œuvre » dans les chapitres suivants, nous regrouperons sous cette dénomination tous types de musiques, films, arts visuels, design, livres, pièces de théâtre et de danse.
Les transformations néolibérales des dernières décennies, comme par exemple celles décrites par Naomi Klein dans La Stratégie du Choc, ont également eu des implications pour la communication culturelle. Nous sommes de moins en moins habilités à structurer et organiser les marchés culturels de telle sorte que la diversité des formes d’expression puisse jouer un rôle significatif dans la conscience de beaucoup, beaucoup de gens.
Les expressions culturelles sont les éléments essentiels de la formation de nos identités personnelles et sociales. Des aspects aussi cruciaux de notre vie ne devraient pas être contrôlés par un petit nombre de propriétaires. Or, ce contrôle est exactement celui exercé sur le contenu de notre communication culturelle via la possession de millions d’œuvres sous droit d’auteur.
Des milliers et des milliers d’artistes travaillent dans cette zone sous tension — le champ de la création artistique et des spectacles — et produisent d’énormes quantités et variétés de créations artistiques, jour après jour. Voilà une bonne nouvelle, que nous ne devrions pas perdre de vue.

La triste réalité, cependant, c’est qu’en raison de la domination du marché par les entreprises culturelles dominantes et leurs produits, la diversité culturelle invisible existante
est pratiquement balayée hors de la scène publique et reste donc largement ignorée.
Le domaine public, dans lequel les expressions culturelles peuvent être réévaluées, doit être restauré. Cela nécessite davantage qu’une critique générale du statu-quo culturel. Ce que nous proposons par conséquent, dans cet ouvrage, est une stratégie pour mener le changement. Nous estimons qu’il est possible de créer des marchés culturels de telle sorte que la propriété des moyens de production et de distribution passe aux mains d’un très grand nombre d’individus.

Dans cette hypothèse, personne, si l’on suit notre raisonnement, n’aura la possibilité, à travers la détention et le monopole de droits d’auteur exclusifs, de contrôler à un degré significatif le contenu et l’utilisation des formes d’expression. En créant des marchés culturels réalistes pour une profusion d’expressions artistiques diverses, nous nous rendons à nous-mêmes, en tant qu’individus, le pouvoir de maîtriser notre vie culturelle. Les marchés de la culture doivent être inclus dans le champ plus vaste de nos interrelations sociales, politiques et culturelles.
En raison de la crise financière qui s’est imposée en 2008, une idée est revenue dans le débat, selon laquelle il faudrait réguler les marchés de telle sorte que non seulement les forces financières puissent faire du profit, mais aussi que beaucoup d’autres intérêts soient également pris en considération. Nous avons déjà une aide précieuse : la boîte à outils juridique qui concerne la régulation de la concurrence, l’ensemble de l’arsenal antitrust, qui garantit qu’aucun acteur du marché n’est en position dominante. Nous reviendrons sur ces dispositions dans le troisième chapitre.
Le sujet principal de ce livre, quoi qu’il en soit, c’est le droit d’auteur. Pourquoi ? Parce qu’il a une grande charge émotionnelle et qu’on lui confère la lourde mission d’être l’expression de notre civilisation : nous prenons grand soin de nos artistes et leur garantissons le respect de leur travail. Il faut cependant expliquer pourquoi le droit d’auteur échoue à combler ces espérances. Or, il est moins compliqué d’expliquer que le marché peut être organisé d’une toute autre façon, par la mise en œuvre d’une régulation de la concurrence.
Le seul point important est le travail colossal qu’il reste à faire pour mener à bien cette restructuration fondamentale des marchés culturels… Et le droit d’auteur est déjà sur une pente glissante.
On pourrait se demander pourquoi nous avons mené cette recherche, nageant à contre-courant du néolibéralisme.

Notre première raison est à la fois culturelle, sociale et politique. Le domaine public de la créativité artistique et de la connaissance doit être sauvé et de nombreux artistes, leurs producteurs et leurs mécènes, doivent être capables de communiquer avec beaucoup de publics différents pour pouvoir vendre leur travail sans difficulté.

La deuxième raison pour laquelle nous pensons que nous ne nous plaçons pas en dehors de la réalité avec notre analyse et nos propositions, c’est l’histoire. Celle-ci nous enseigne que les structures de pouvoir et les nébuleuses du marché changent sans cesse. Pourquoi cela ne devrait-il pas se produire avec le sujet qui nous concerne ici ?

Troisièmement, nous tirons un certain optimisme de ce que peut produire la crise financière et économique qui a éclaté en 2008. Ce fut l’année dans laquelle l’échec du néolibéralisme devint horriblement visible. S’il y a bien une chose qui est apparue comme évidente, c’est que les marchés — même culturels — nécessitent une totale réorganisation, en ayant à l’esprit un bien plus vaste champ, celui qui mêle les intérêts sociaux, écologiques, culturels, socio et macroéconomiques.


Notre motivation, en définitive, est très simple : la nécessité de le faire. C’est notre devoir d’universitaires qui nous y contraint. Il est flagrant que l’ancien paradigme du droit d’auteur est en train de se désagréger. Notre défi, en tant qu’intellectuels, est par conséquent de trouver un mécanisme qui remplace le droit d’auteur et l’hégémonie qu’il implique sur les marchés culturels. Quel système est-il alors le mieux à même de servir les intérêts d’un grand nombre d’artistes, ainsi que ceux des biens communs de la création et des connaissances ? Une tâche aussi immense incite nos collègues du monde entier à nous aider à trouver de quoi progresser davantage en ce XXIe siècle. Il y a énormément à faire, y compris pour mettre au point les modèles que nous proposons au chapitre 4. Avec un peu
de chance, cette recherche peut être menée avec légèrement plus de moyens que ceux dont nous disposions auparavant. Après tout, il est question de l’entière restructuration des segments du marché de la culture dans notre société, ce qui représente, à l’échelle mondiale, un flux qui se mesure en milliards d’euros.
Nous avons eu le privilège d’apprécier les commentaires critiques et parfois le scepticisme d’un certain nombre de nos amis et collègues (universitaires) qui, malgré tout, nous ont encouragés à continuer. Nous voudrions mentionner Kiki Amsberg, Maarten Asscher, Steven Brakman, Jan Brinkhof, Jaap van Beusekom, Eelco Ferwerda, Paul de Grauwe, Pursey Heugens, Dragan Klaic, Rick van der Ploeg, Helle Posdam, Kees Ryninks, Ruth Towse, David Vaver, Annelys De Vet, Frans Westra, Nachoem Wijnberg, les membres du groupe de recherche CopySouth, dirigé par Alan Story, et les participants du AHRC Copyright Research Network à la Birkbeck School of Law, l’Université de Londres, présidée par Fiona Mac-millan. Merci à Rustom Bharucha, Nirav Christophe, Christophe Germann, Willem Grosheide, Jaap Klazema, Geert Lovink, Kees de Vey Mestdagh et Karel van Wolferen. Ils ont lu le manuscrit complet et signalé chaque divergence rencontrée dans nos investigations. 
Joost Smiers a été invité à de nombreuses conférences dans le monde pour intervenir sur le sujet de notre étude. Les réactions recueillies nous ont donné l’occasion exceptionnelle d’affiner nos analyses et propositions.

Un grand merci à tous ceux qui nous ont aidés à garder le cap dans notre recherche. Après tout, ce que nous sommes en train d’effectuer est un saut délibéré dans l’inconnu. La façon dont les marchés se développent est imprévisible, même si les propositions que nous faisons sont mises en œuvre. Avec un tel degré d’incertitude, il n’est pas étonnant que certains de ceux qui ont commenté nos analyses ne les partagent pas. Nous leur sommes donc très reconnaissants pour leur appui sincère et leurs commentaires critiques.
Nous adressons enfin un remerciement particulier à Giep Hagoort, un collègue de Joost Smiers, depuis à peu près un quart de siècle, au sein de l’Art & Economics Research Group à l’Utrecht School of the Arts. Sa passion et sa ligne de conduite ont toujours été d’enseigner aux entrepreneurs comment allier l’art et l’économie. Ce n’est donc pas par hasard si la notion d’entreprise culturelle joue un rôle important dans notre livre. De toute évidence, ces entrepreneurs culturels, qu’ils soient artistes, producteurs ou clients, doivent avoir la possibilité d’opérer dans un marché qui offre des conditions égales pour tous. L’objectif de cette étude est précisément de trouver les moyens d’y parvenir.

>>> Source sur : http://framabook.org/

>>> Publié sous licence Creative Commons — Zéro (CC0) 1.0

Droit d’auteur : Nina Paley appelle à la “désobéissance intellectuelle”

Fist of fury ! Par redwood. CC-BY-ND. Source : Flickr

Nina Paley est une dessinatrice américaine, réalisatrice de films d’animation et activiste de la Culture Libre, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans S.I.Lex, notamment à propos de la non-licence Copyheartsous laquelle elle a décidé de placer ses oeuvres afin d’inciter le public à les copier et à les partager.

Au cours d’une interview donnée pour O’Reilly Radar, Nina a eu l’occasion d’appeler à la “désobéissance intellectuelle” (intellectual desobediance) qu’elle définit comme une version de la désobéissance civile appliquée à la propriété intellectuelle. Le cheminement personnel qui l’a conduit à cette position est intéressant : partie de l’usage des licences libres (CopyLeft), passée au renoncement complet à ses droits sur ses créations (CopyOut), elle appelle aujourd’hui ouvertement au non-respect des règles du droit d’auteur (CopyFight), qu’elle estime contraires à sa dignité d’artiste et d’humain, ainsi qu’à des principes supérieurs comme la liberté d’expression ou de création artistique.

Une position radicale que d’aucuns pourront juger critiquable, mais qui témoigne d’une montée de la colère face aux dérives les plus graves du système, que je peux comprendre pour l’avoir déjà ressentie.

>>> Source & Suite sur : http://scinfolex.wordpress.com/2012/06/21/droit-dauteur-nina-paley-appelle-a-la-desobeissance-intellectuelle-eclats-de-s-i-lex/

La Culture libre : un chemin pour la réussite ?

Dans les débats concernant le droit d’auteur et l’avenir de la création, la question du financement revient de manière lancinante et l’on remet souvent en cause la capacité des pistes alternatives à assurer aux artistes les moyens de créer, de diffuser leurs productions auprès d’un public et d’en tirer un revenu.

Voici pourtant quatre exemples de  créateurs, ayant fait le choix de la Culture libre, qui démontrent que le système classique du droit d’auteur n’est pas la seule voie pour atteindre le succès à l’heure du numérique.

Quelques bourgeons d’espoir dans cet interminable hiver de la propriété intellectuelle que nous subissons (Just Hanging With Some Buds. Par Sea Turtle. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Du domaine public volontaire aux licences de libre diffusion en passant par le Copyleft, les moyens juridiques mis en oeuvre par ces expérimentateurs sont variés, mais ils mettent tous à profit l’ouverture offerte par les licences libres pour maximiser la diffusion de leurs créations sur les réseaux et entrer dans de nouvelles formes de relations avec leur public.

Ces quatre exemples sont tirés de champs différents de la création : la musique, la peinture, le livre et le cinéma d’animation. Et vous allez voir que contrairement à une autre idée reçue, la qualité est au rendez-vous !

Enjoy, Share, Remix et surtout inspirez-vous !

>>> Source & Suite sur : http://scinfolex.wordpress.com/2012/05/17/la-culture-libre-un-chemin-pour-la-reussite/