Tirage au sort : la démocratie réelle ?

La politique, ça vous pique ? Et si on repensait notre manière de voir le pouvoir ?

Tout a commencé par la découverte d’une idée. C’était il y a quelques mois déjà, chez le camarade blogueur Jérômebien connu dans notre belle blogosphère. Le concept ne date pas d’hier et n’est pas le fruit d’une bande d’illuminés, mais d’une civilisation mythique : il prend ses sources dans l’antiquité grecque qui a fondé la vie politique de sa cité durant 200 ans sur ce modèle … L’idée c’est le tirage au sort comme moyen politique dans notre société. Dit comme ça, c’est un peu abrupte. Ce n’est pas du tout fait pour ça pourtant ; loin d’une bête provocation pour faire un buzz à l’emporte-pièce, une petite communauté commence à se fédérer sur le web autour de ses idées. Parmi ces citoyens qui veulent maintenant une démocratie réelle, il y a Paul. Il a simplement eu une initiative comme on en fait peu en politique : simplifier le message pour capturer l’attention. Pas au niveau des apparences, des appareils et des postures : des idées. Rencontre avec le créateur du site Le-Message.org : interview !

Qui est Paul, quel est son parcours ?

Vous avez sans doute remarqué qu’il n’est fait mention de moi nulle part sur le site, pas de bio ni même une courte présentation. Alors ce n’est ni une coquetterie ni un secret, je pense juste que cette information n’a aucun intérêt, je vais vous en faire la démonstration immédiatement. Je m’appelle Paul, je suis un citoyen Français en âge de voter depuis une bonne dizaine d’années, je l’ai même fait quelques fois. J’ai fait des études de droit, que j’ai stoppées pour prendre un virage artistique. Je n’ai jamais milité, pas plus en politique qu’ailleurs, comme disait l’autre je suis un citoyen « dégagé » (jusqu’à il y a peu du moins). Et ce dégagement politique s’est confirmé lors de mes années de droit à la FAC pendant lesquelles j’ai instinctivement ressenti l’impuissance citoyenne face à nos si respectables institutions. Reste que je me suis toujours fortement intéressé à l’actualité politique, ce qui pour arranger le tout avait jusqu’ici achevé de me convaincre qu’il n’y avait définitivement rien à faire.

Comment avez-vous découvert le contenu du message ?

Le-message.org est en fait un « résumé » de ce vous pouvez comprendre en lisant et en regardant les conférences d’Étienne Chouard. Il y a quelques mois je n’avais jamais entendu parler de lui, malgré son implication dans le débat sur le référendum sur du Traité Constitutionnel européen en 2005.

Mais au hasard de lectures économiques, je me suis retrouvé devant une vidéo de plus d’1h30, une conférence dans laquelle E.Chouard abordait des problèmes économiques et politiques très concrets en cherchant toujours à en découvrir « la cause des cause », la source commune à ces problèmes. J’ai tenu pendant toute la conférence, passionnante, et j’ai compris que l’impuissance citoyenne que j’avais toujours ressentie, trouvait là une explication limpide.

En gros, quel est le sens du message ? Est-ce un appel ou juste une manière de conscientiser les gens dans l’attente d’un réveil ?

Le site s’appelle Le Message parce qu’il prétend en une phrase donner la clé sans laquelle il n’est pas possible d’agir politiquement. Énormément de gens se battent contre un système qu’ils jugent injuste et tentent de faire entendre leur voix pour changer les choses. Mais toutes ces causes sont finalement en concurrence dans l’espace politico-médiatique, et tout le monde tape dans le même ballon en même temps mais dans des directions différentes. Au final le ballon ne bouge pas. Dire qu’on a trouvé la cause commune de tout ces problèmes (nous ne sommes pas en démocratie, nous ne pouvons donc rien changer), c’est aussi donner la solution du problème : nous devons rétablir une démocratie si nous voulons changer quoi que ce soit.

J’aimerais que ce soit un appel, mais il faudrait crier beaucoup plus fort pour qu’il atteigne suffisamment d’oreilles et de cerveaux. D’autant que vu le nombre d’idées reçues qui sont combattues sur le site, la compréhension du message n’est pas spontanée : par exemple ne serait-ce que d’envisager que l’élection puisse ne pas être une procédure démocratique, cela va tellement à l’encontre de tout ce que l’on a appris et qu’on nous répète en boucle de la crèche au cimetière, que les premières réactions sont forcement défensives. Alors je mise plutôt sur une prise de conscience progressive. Après tout, il y a encore un an j’étais très loin de tout ça, je suis la preuve vivante que comprendre Le Message est une vraie claque, et que ça réveille.

Simplifier pour le web, c’est optimiser la viralité ?

Oui. La raison d’être du message c’est la simplification, et donc une transmission plus facile de l’information. Quand on se retrouve face à la montagne d’informations disponible sur le site d’E. Chouard on se demande par où commencer. Même s’il a créé des pages et des documents pour simplifier le plus possible l’accès aux nouveaux venus, les thèmes sont si riches que le visiteur un peu frileux pourrait renoncer par peur de l’indigestion. Le-message c’est donc le menu light, simplifié, avec tous les défauts que peut avoir la simplification, mais ses avantages aussi. Le but n’est pas de faire changer d’avis ceux qui sont de toute façon opposés à ces idées, ni de prêcher des convaincus, mais d’attraper au passage la curiosité d’un lecteur qui ne s’était peut être jamais posé la question, et avait machinalement pensé comme il faut. C’est ce lecteur là qui est intéressant, et c’est pour lui que j’ai essayé de doser le niveau de complexité du site.

Un des principes phares du tirage au sort c’est que le pouvoir est limité dans le temps. Comment garantir une cohérence dans les décisions à long terme si il n’y a pas de classe et d’idéologie qui domine quelque peu ?

Une bonne constitution démocratique limite les mandats dans le temps car elle organise les contre-pouvoirs, pas les pouvoirs. Le pouvoir est dangereux, le confier trop longtemps et toujours aux mêmes implique mécaniquement l’abus de pouvoir.

Nos institutions actuelles ont donc effectivement permis la domination d’une classe et d’une idéologie : pas la peine d’en décrire ici les conséquences, le résultat est tout simplement catastrophique, à part pour la classe dominante, logique. La seule cohérence pendant deux siècles d’élection a finalement été le pouvoir des plus riches et je suis prêt à sacrifier cette cohérence là à toutes les incohérences que la démocratie pourrait potentiellement impliquer. L’idéologie qui est portée par la démocratie c’est la démocratie elle même : un pouvoir à l’image du peuple qui le crée, pas d’une classe. Bien évidemment la première qualité de ce pouvoir sera de savoir dire : je me suis trompé, mauvaise décision, on change. Et alors ? Quelle catastrophe subirions nous à changer d’avis, plutôt qu’à se tromper une fois pour toutes et pour toujours ?

Quand vous parlez de ce concept hautement politique avec votre entourage, ça grince des dents ?

Déjà ça prend du temps, les réflexes conditionnés par des dizaines d’années de mauvaises informations sont longs à combattre. Et oui, ça grince des dents au départ, mais finalement une fois que j’ai eu le temps d’exposer mon raisonnement, de répondre aux objections (toujours les mêmes) la discussion se termine souvent par une question essentielle qui conclut le débat : soit vous êtes pour la démocratie, et donc contre la fausse-démocratie actuelle, soit pour une oligarchie et donc fondamentalement opposé à l’idée du message. Mais l’essentiel pour moi est qu’à la fin de la discussion, d’accord où pas, on puisse se parler avec des mots dont on ne détourne plus le sens : « démocratie » veut dire quelque chose de bien précis, il faut arrêter d’utiliser ce mot pour décrire l’oligarchie dans laquelle nous vivons. Si déjà rien que cette idée là faisait son chemin dans les consciences, les conséquences seraient énormes. Les mots font tout en la matière, ce n’est pas pour rien que le mot démocratie a été réquisitionné et travesti pour lui faire dire l’inverse de son sens originel.

Un homme comme Jean-Luc Mélenchon avec son programme instaurant une constituante, cela vous semble une idée qui puisse mettre en perspective la démocratie réelle ?

Une constituante certes, mais avec qui dedans ? C’est toute la question. Le mécanisme de l’élection est impitoyable pour la démocratie, remettre à nouveau les clés de la Constitution à des élus, c’est mécaniquement créer une constitution pour des élus, rebelote. Ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire les règles du pouvoir, le conflit d’intérêt est flagrant.

Il ne s’agit pas de dire que nos élus sont malhonnêtes, simplement de leur signifier qu’en cette matière ils ne peuvent pas juger sereinement, on récuse bien des juges où des jurés quand un conflit de cette nature se produit au tribunal. La constituante doit donc être composée de citoyens désintéressés, c’est impératif. L’élection ne le permet pas, le tirage au sort le permet.

Selon vous, pourquoi les gens ne veulent pas tant que ça du pouvoir ?

Un détail : si les gens se préoccupaient si peu du pouvoir se donnerait-on le mal de leur faire croire qu’ils sont en démocratie, et donc qu’ils ont le pouvoir ?

Dans les faits il est certain que la plupart des gens se contentent de leur droit de vote comme exercice suffisant de leur « pouvoir » de citoyen. Mais comment les en blâmer vu qu’ils n’ont strictement aucune autre perspective d’action politique. Devenir un vrai citoyen, ça s’apprend, ça se comprend, ça s’exerce. Mais dans notre oligarchie les institutions nous disent : ne vous embêtez pas avec le pouvoir, vos représentants s’occupent de tout. La déresponsabilisation est manifeste, elle est organisée car nécessaire à la bonne marche de l’oligarchie.

Mais en vérité ce n’est pas tant le pouvoir qui importe car il n’intéresse de fait qu’une minorité de gens qui ont un désir suspect de domination, et il est méprisé par les autres qui ont autre chose à faire que de s’occuper de diriger leurs congénères (lire à ce sujet Alain, « Propos sur les pouvoirs », il le dit tellement mieux que ça…). La seule préoccupation des gens devrait en fait être les contre-pouvoirs : nous acceptons puisqu’il le faut de confier un peu de pouvoir à certains mais à condition qu’ils servent l’intérêt général. Si nos serviteurs devaient nous trahir, les contre-pouvoirs prévus par nos institutions devraient nous permettre de nous défendre et de les punir. Rien que cette menace devrait suffire à limiter la tentation d’abuser du pouvoir.

La dictature du divertissement médiatique permanent est un frein à la diffusion de votre message…

Un frein énorme. Et comment rentrer dans le jeu des médias alors qu’on veut en changer toutes les règles ? Les défenses immunitaires des grands médias sont très efficaces pour ridiculiser, démonter, diaboliser et pire ignorer les idées qui ne rentrent pas dans le cadre. Il y aurait la solution de trouver une figure médiatique récurrente pour incarner le message, ce pourrait être très logiquement Étienne Chouard par exemple car il existe déjà médiatiquement. Mais son honnêteté intellectuelle est un handicap terrible dans le débat médiatique. Presque autant que ses idées à contre courant. Et quand bien même, que vaudront dans les esprits 10 minutes d’Étienne Chouard et ses idées nouvelles face à des contradicteurs qui auront à leur service les millions d’heures de lavage de cerveau produits et diffusés depuis 50 ans et qui trimballent tous d’une seule voix les mêmes contre-vérités.

Alors quoi ? Du happening ? Des coups médiatiques ? Avec quels moyens et à quel prix ? Je conçois que ce que je dis là semble particulièrement défaitiste mais il me semble clair que le changement de système devra prendre sa source hors du système. Il est compliqué de le concevoir autrement. Internet est une fenêtre efficace pour la diffusion d’une idée, c’est comme ça que j’ai compris, et c’est comme ça que d’autres comprendront.

Comment les internautes peuvent-t-ils vous aider ?

Très logiquement en diffusant l’adresse du site, en s’appropriant son contenu, en en faisant tout ce qu’il est possible d’en faire : sons, vidéos, images… en débattant, mais pas seulement entre vous (ou alors au début pour s’entraîner). Le message doit sortir du petit cercle des militants et des internautes et toucher le grand public, ça se fera un par un, mais si quelques convaincus se mettent à convaincre à leur tour, et ainsi de suite… Le message passera 🙂

Ah si ! J’ai une idée : corrompre les élites à mon tour. Si un gagnant à l’euromillion par exemple veut bien me filer quelques dizaines de millions d’euros, je m’en servirai pour acheter quelques élus, ministres, journalistes, éditorialistes etc. qui devront progressivement faire passer mes idées dans la sphère médiatique. C’est pas joli joli mais après tout, s’il n’y a que ça pour les convaincre… Alors, un richissime volontaire à qui j’envoie mon RIB ?

Merci à vous de votre intérêt pour Le-Message.org !

>>> Sources : http://www.tribords.com/?tirage-au-sort-democratie-reelle

http://etienne.chouard.free.fr/Europe/tirage_au_sort.php