Neil Jomunsi : pour une culture libre et rémunérée

Une fois n’est pas coutume sur ce blog, je ne traduis pas mais j’interview. Un écrivain répondant au nom de Neil Jomunsi. Cet auteur bouillonnant d’idées a la plume alerte et même un peu folle : il lui arrive de défendre que piratage rime avec partage. Cela ne l’empêche pas d’être réaliste : ses nouvelles sont disponibles par abonnement. Mais ne dévoilons pas déjà tout, laissons-le s’exprimer :

Peux-tu décrire en quelques lignes ton projet d’écriture ?

Le Projet Bradbury est un défi et un hommage. Ray Bradbury disait :

“Écrire un roman, c’est compliqué: vous pouvez passer un an, peut-être plus, sur quelque chose qui au final, sera raté. Écrivez des histoires courtes, une par semaine. Ainsi vous apprendrez votre métier d’écrivain. Au bout d’un an, vous aurez la joie d’avoir accompli quelque chose: vous aurez entre les mains 52 histoires courtes. Et je vous mets au défi d’en écrire 52 mauvaises. C’est impossible.”

Alors j’ai décidé de le prendre au mot : pendant 52 semaines, j’écrirai une nouvelle par semaine et je la publierai dans la foulée. Le but est aussi de montrer qu’écrire est un métier qui s’apprend. Le projet est aussi là pour me permettre d’expérimenter, d’innover, d’aller chercher le meilleur du net et de l’appliquer à ce métier très changeant qu’est celui de l’écrivain.

Quelle est ta technique d’écriture ?

 La littérature, c’est l’innovation perpétuelle.

Comme pour toute activité que tu prends un minimum au sérieux, la première des obligations est la discipline. Écrire est une course de fond davantage qu’un sprint, il faut donc s’astreindre à écrire tous les jours, au minimum 1000 mots même s’il m’arrive de faire des journées à 6000. C’est un peu du dressage d’animal sauvage : il n’y a que comme cela que les histoires se couchent sur la page. Je n’ai donc aucune technique particulière si ce n’est de m’asseoir tous les jours devant l’ordinateur et de taper des mots les uns à la suite des autres sur le clavier, ou sur le papier quand l’envie m’en prend. J’ai longtemps cru aveuglément dans toutes les techniques de storytelling (j’ai fait des études scénario) mais à la longue, je remarque qu’elles produisent des histoires stéréotypées et qui n’ont pas vraiment de sens dans un contexte littéraire. La littérature, c’est l’innovation perpétuelle. Elle n’a pas besoin de béquille cinématographique. Beaucoup de jeunes auteurs fans de séries tombent dans le piège de la scénarisation.

Comment perçois tu la réception de ton projet et quelle suite comptes-tu lui donner ?

 Le métier d’écrivain n’est pas de donner des réponses, mais de poser les bonnes questions.

La réception est très bonne, même si je regrette que la forte médiatisation du début soit un peu retombée, forcément : nous vivons une ère d’information verticale où tu dois toujours générer de la nouveauté et du “buzz” pour te faire entendre. J’essaye de maintenir le fil de l’actualité via mon blog et surtout de proposer des innovations ou des questions qui sont matière à réflexion. Le métier d’écrivain n’est pas de donner des réponses, mais de poser les bonnes questions. Globalement, les habitués de la lecture numérique sont derrière moi et me soutiennent dans ma démarche. J’aimerais que le Projet décolle (nous en sommes au quart maintenant, 13 nouvelles publiées) et que d’autres lecteurs s’en emparent. Que le Projet Bradbury devienne une réflexion sur la place de l’auteur et plus généralement du créateur au XXIème siècle, aussi perdu qu’il puisse se sentir au milieu du web. Il faut comprendre que les paradigmes changent : notre métier prend une ampleur qu’il n’avait jamais connue jusqu’ici, avec la possibilité de toucher directement son lectorat.

Quant à la suite, je ne l’ai pas encore envisagée. J’imagine que je me reposerai un peu (c’est dur de tenir le rythme) et que j’embrayerai sur des formats plus longs. D’ailleurs, je n’ai pas pu me retenir et je commence dès dimanche un nouveau projet de roman-mail : une fois par semaine, mes lecteurs recevront gratuitement, par l’intermédiaire de ma newsletter, un chapitre d’un roman que je rédige en parallèle du Projet Bradbury. Les travaux ne finiront qu’à ma mort, je pense.

Comment perçois tu les rapports actuels entre maisons d’édition et écrivains ?

 L’auteur devrait être au centre de l’industrie et gagner sa vie avec ses mots

Je perçois de grandes tensions, surtout en France où trouver un éditeur est de loin la distinction la plus haute pour un auteur en devenir. Les auteurs sont en colère et je les comprends : ils sont les parents pauvres du livre. Alors qu’une industrie entière se bâtit sur leur travail, ils sont les seuls à ne pas pouvoir en vivre décemment. Très peu d’auteurs sont professionnels, alors qu’on compte des centaines de maisons d’édition, de distributeurs, de libraires, qui se nourrissent de leur prose. Je trouve cela anormal : l’auteur devrait être au centre de l’industrie et gagner sa vie avec ses mots, au moins de manière décente. Ce serait la moindre des politesses. Avec l’émergence de l’ebook et des services de publication en ligne, les auteurs se demandent s’ils ne feraient pas mieux de se passer des intermédiaires qui ne leur laissent que des miettes. On peut les comprendre, non ? Mais il y a encore cette reconnaissance éditoriale française qui fait qu’on n’est pas un écrivain si on n’est pas publié dans une “vraie” maison d’édition. Je pense néanmoins que ce postulat est en train de changer et que les auteurs prennent conscience de l’injustice dont ils sont victimes.

Si tu devais lancer une et une seule réforme dans le domaine de la culture, que ferais-tu ?

Il y en a tellement ! C’est cruel de me faire choisir. Je pense qu’il y a quelque chose à creuser du côté du partage et de la diffusion de la culture. Les copyrighteurs hystériques nous mènent droit dans le mur et ne font que s’enrichir au détriment des acheteurs, de plus en plus enfermés dans des systèmes qui finissent par les contrôler plus qu’ils ne les contrôlent. Je ne suis pas un politicien : mon boulot, c’est de raconter des histoires. Mais les histoires peuvent avoir du sens, et plus ce sens est partagé par un grand nombre de lecteurs, plus il se diffuse… comme le savoir. Ma préférence ira toutefois à une plus juste valorisation du travail de l’auteur, parents pauvres de l’industrie. À l’heure où l’on parle de rehausser la TVA sur les droits d’auteur, ce vœu a du sens.

Quel message aimerais tu faire passer aux lecteurs ?

Que le changement ne passe que par l’action. Faites ce qui vous plaît. Donnez quelque chose au monde. Soyez honnêtes, oubliez l’argent pour quelques instants et posez-vous les bonnes questions. Il y a des milliards de messages que j’ai envie de faire passer et ils changent tous les jours. Mais je pense que le plus important est celui-ci :

“Tu as envie de le faire ? Fais-le.”

 

>>> Source sur : http://politiquedunetz.sploing.be/2013/11/neil-jomunsi-pour-une-culture-libre-et-remuneree/

>>> Écrit par Neil Jomunsi dans la catégorie  droitauteur sous licence  CC-BY-SA