Du domaine public comme fondement du revenu de base (et réciproquement ?)

Du domaine public comme fondement du revenu de base (et réciproquement ?)

 

J’ai déjà eu l’occasion de parler récemment du revenu de base, dans un billet consacré à la rémunération des amateurs, mais je voudrais aborder à nouveau la question en lien avec un autre sujet qui m’importe : le domaine public.

A priori, il semble difficile de trouver un rapport entre le revenu de base et le domaine public, au sens de la propriété intellectuelle – à savoir l’ensemble des créations qui ne sont plus ou n’ont jamais été protégées par le droit d’auteur.

Revenu de base, revenu de vie, revenu inconditionnel, dividende universel, salaire à vie, etc : ces différentes appellations renvoient (d’après Wikipedia) au concept d’un « revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur une base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie« , tout au long de leur existence. La mise en oeuvre d’un tel projet est susceptible d’entraîner des transformations très profondes du système économique, parce qu’il déconnecte le revenu et l’emploi. Elle modifierait notamment notre rapport au « temps libre » (otium), en augmentant notre capacité à nous consacrer bénévolement aux tâches qui nous semblent en valoir la peine.

Human reasons to work by freeworldcharter.org

L’idée peut paraître doucement utopique, mais la présentation ci-dessous par Stanislas Jourdan, un des militants français les plus actifs en faveur du revenu de base, vous permettra de mieux vous familiariser avec ce concept, ainsi qu’avec ses différentes modalités concrètes de mise en pratique. Vous verrez qu’il possède une longue histoire et qu’il est défendu par de nombreux acteurs, de tous bords politiques.

 

 

Le domaine public comme fondement du revenu de base ?

Jusqu’à présent, j’avais commencé à m’intéresser au revenu de base, comme une des pistes possibles pour le financement de la création, susceptible d’accompagner une réforme en faveur du partage non-marchand des oeuvres sur Internet. C’est sous cette forme que le revenu de base figure dans le programme proposé par La Quadrature du Net(à côté d’autres formes de financement mutualisés, comme la contribution créative ou le crowdfunding), ainsi que dans celui du Parti Pirate.

Mais en approfondissant la question, on se rend compte que la notion de domaine public, compris comme bien commun de la connaissance, est souvent avancée comme un des fondements possibles du revenu de base :

L’allocation universelle peut aussi être justifiée comme un dividende monétaire ou crédit social reçu par chacun lié à la propriété commune de la Terre et à un partage des progrès techniques…

Un billet, paru récemment sur le site Revenu de base et intitulé « Nous profitons tous du travail des morts« , détaille cette idée selon laquelle un revenu devrait être versé à tous au titre d’une propriété partagée du savoir :

Si l’ingénieur ou l’ouvrier d’aujourd’hui ont un salaire trois fois supérieur respectivement à l’ingénieur et à l’ouvrier des années 1950, serait-ce parce qu’ils produisent chacun 3 fois plus de richesse que leur homologue des années 1950 ? Et si oui, serait-ce parce que le travailleur d’aujourd’hui est trois fois plus travailleur, trois fois plus ingénieux et donc trois fois plus méritant que le travailleur d’hier ?

Il faut répondre oui à la première question et non à la deuxième. Oui le travailleur d’aujourd’hui est trois fois productif. Mais non, ce n’est pas lié à son propre mérite, au fait qu’il travaillerait trois fois plus ou qu’il serait trois fois plus ingénieux.

Si l’ingénieur et l’ouvrier sont plus productifs, c’est justement grâce au travail que leurs homologues ont réalisé depuis les années 1950 : grâce aux routes, aux chemins de fer et autres infrastructures construites depuis lors, aux machines qui font gagner du temps au travailleur et qui ont été mises au point et fabriquées par les travailleurs du passé, et surtout grâce aux savoirs et aux innovations réalisées par les scientifiques et les inventeurs depuis plus de deux siècles.

[…] ces savoirs et ce capital physique sont un capital commun qui ne saurait être approprié par une minorité sans compensation versée aux autres. Cet argument rejoint celui de Thomas Paine, pour qui l’accaparement des terres productives par des producteurs capitalistes en Angleterre entre le XVIème et le XVIIIème siècle (le mouvement des enclosures) doit donner lieu à une compensation versée à tous, la terre étant un bien commun.

On se situe ici davantage sur le terrain de la propriété industrielle (les inventions et les procédés techniques) que sur celui de la propriété littéraire et artistique (les oeuvres de l’esprit et les créations qui forment au fil du temps le patrimoine culturel). Mais dans un autre article plus ancien, intitulé « Pourquoi les pirates devraient défendre le revenu de base« , Stanislas Jourdan fait un lien plus précis entre le projet de dividende universel et la notion de domaine public, au sens de la propriété intellectuelle :

Les Pirates dénoncent la prétendue évidence selon laquelle le piratage serait néfaste à la culture. Ils dénoncent aussi les lois Hadopi et autres, qu’ils estiment inefficaces et surtout liberticides. Mais il y a quelque chose de plus puissant encore derrière leur justification du partage de la culture.

Le fondement philosophique qui justifie l’idée que les œuvres devraient être réutilisables et partageables, c’est que la création même de ces œuvres repose sur d’autres créations antérieures relevant souvent du domaine public ou simplement d’influences d’autres artistes. De fait, les protections actuelles que confèrent la propriété intellectuelle constituent en réalité un droit illimité d’exploitation mercantile de tout un champ de ressources relevant du domaine public et d’autres œuvres non rémunérées. Le système profite ainsi à une minorité tandis que la majorité des auteurs sont oubliés.

Le revenu de base part du même principe : aucun entrepreneur ne peut prétendre créer de valeur tout seul dans son coin. En vérité, tout ce qu’une entreprise ou un individu crée, il le fait en se reposant sur des productions antécédentes ou parallèles qu’il exploite souvent gratuitement.

Ce raisonnement rejoint de nombreuses analyses que j’ai pu développer dans ce blog depuis des années à propos du processus de la création. Toute création intellectuelle s’enracine dans un fonds pré-existant de notions, d’idées et de références pré-existantes qui en forment la trame et que le créateur va synthétiser et « précipiter » pour produire son oeuvre, en leur imprimant une marque particulière. Chaque écrivain, chaque peintre, chaque musicien est profondément tributaire des créateurs qui l’ont précédé et toute oeuvre par définition peut être considérée comme un remix. Pierre-Joseph Proudhon, dans les Majorats littéraires, tenait déjà en 1868 un discours similaire :

Voilà un champ de blé : pouvez-vous me dire l’épi qui est sorti le premier de terre, et prétendez-vous que les autres qui sont venus à la suite ne doivent leur naissance qu’à son initiative ? Tel est à peu près le rôle de ces créateurs, comme on les nomme, dont on voudrait faire le genre humain redevancier.(…) En fait de littérature et d’art, on peut dire que l’effort du génie est de rendre l’idéal conçu par la masse. Produire, même dans ce sens restreint est chose méritoire assurément, et quand la production est réussie, elle est digne de récompense. Mais ne déshéritons pas pour cela l’Humanité de son domaine : ce serait faire de la Science, de la Littérature et de l’Art un guet-apens à la Raison et à la Liberté.

Le droit d’auteur et la propriété intellectuelle en général ont pour effet de dissimuler cette « dette » que tous les créateurs ont vis-à-vis de leurs anciens, en liant le bénéfice de la protection à la création d’une oeuvre de l’esprit « originale« . A l’origine, la durée relativement courte des droits (10 ans seulement dans la première loi en France sur le droit d’auteur) garantissait l’équilibre du système et faisait en sorte que le monopole temporaire reconnu à l’auteur restait l’exception par rapport au domaine public, qui était l’état « naturel » de la création et de la connaissance.

Extrait de « Tales from the public domain : Bound by law »

 

La dérive du droit d’auteur au cours des 19ème et 20ème siècle, avec l’extension continue de la durée des droits, a provoqué une forme d’expropriation du domaine public au profit d’acteurs (de plus en plus éloignés des auteurs) qui ont pu accaparer cette valeur à titre exclusif. La situation est si dégradée actuellement que par le biais du copyfraud, le domaine public fait l’objet d’attaques répétées qui en réduisent continuellement l’étendue et la portée. Pour reprendre les mots de Proudhon, l’Humanité s’est fait déshériter de ce qui lui appartenait. Disney par exemple a pu puiser sans vergogne dans le fonds des contes du domaine public pour bâtir son succès, mais il a exercé par la suite un lobbying extrêmement puissant pour étendre la durée des droits par le Mickey Mouse Act et neutraliser ainsi le domaine public pendant des décennies aux Etats-Unis. Ainsi fut brisé un élément fondamental du Contrat Social.

Entre les défenseurs du domaine public et ceux du revenu de base, on retrouve donc cette même idée que chaque génération contribue par sa créativité propre à enrichir le patrimoine commun de l’Humanité, mais qu’aucune d’entre elles, ni aucun groupe ou individu en son sein, ne peut prétendre s’arroger une propriété définitive sur ces richesses. Ce principe de justice temporelle est très bien exprimé par Stéphane Laborde, auteur d’une Théorie Relative de la Monnaie, par le biais du concept d’un flux temporel humain, dont on doit prendre conscience pour comprendre pleinement la philosophie du revenu de base :

[…] la tentation est grande pour les vivants de s’arroger des droits de propriété excessifs sur l’espace de vie, violant ainsi les libertés de leurs successeurs. L’histoire est pleine de ces violations des principes fondamentaux, qui conduisent inévitablement à des insurrections à terme.

Le domaine public exprime l’idée que nous possédons tous à titre collectif des droits positifs sur la Culture, comme le dit Philippe Aigrain. Pour compenser la spoliation dont nous faisons l’objet du fait de la propriété intellectuelle, il est juste que chacun reçoive à vie un revenu de base pour assurer sa subsistance et lui permettre de participer à son tour à la création.

Le mensonge fondamental de la propriété intellectuelle.  Le droit d’auteur ne protège pas les générations futures, mais au contraire, il permet aux générations présentes de prendre en otage celles du futur (Extrait de « Tales from the Public Domain. »)

Sans revenu de base, pas de véritable domaine public ?

Si le domaine public, entendu comme bien commun de la connaissance, peut être considéré comme un fondement possible pour le revenu de base, on peut se demander si l’inverse n’est pas également vrai : l’instauration du revenu de base ne doit-elle pas être considérée comme la condition d’existence d’un véritable domaine public ?

Cette idée, a priori assez surprenante, a été récemment formulée par l’auteur et blogueur Thierry Crouzet, dans un billet intitulé : « Le revenu de base comme jardin d’Eden« . Dans ce texte, Thierry Crouzet interpelle différentes communautés  :  développeurs de logiciels libres, militants des biens communs, adeptes du crowdfunding, etc, pour essayer de leur faire prendre conscience qu’aucune modification en profondeur du système n’est possible, tant qu’un revenu de base n’est pas instauré.

Paradis. Lucas Cranach. Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

 

Concernant le logiciel libre par exemple, il tient ces propos, assez décapants :

Sans monnaie libre reposant sur un revenu de base, il ne peut exister de logiciel réellement libre. Sans monnaie libre, les développeurs dépendent pour leur subsistance d’une monnaie privative telle que l’euro. Une économie du partage n’est possible que grâce à des monnaies équitablement partagées, et crées. La priorité de tous les développeurs devrait être de mettre au point la technologie ad hoc, plutôt que de perdre du temps à cloner des produits commerciaux.

Et il ne se montre pas plus tendre avec le crowdfunding par exemple :

Cette technique de financement par le don communautaire restera marginale. Elle profite avant tout aux créateurs de plateformes, qui ponctionnent les échanges, et qui dans leur plan marketing se pressent de mettre en évidence quelques success-stories. Mais une société ne repose pas que sur des stars. Son économie doit profiter à tous. Le crowdfounding n’a aucune chance de fonctionner à grande échelle dans un système monétaire reposant sur la rareté.

A la fin de son billet, il ajoute un passage, qui fait le lien avec le domaine public, en appelant ces différentes communautés à agir de concert :

Communiquer est le maître mot. Et il faut commencer, dès à présent, entre des acteurs de champs encore disjoints, mais qui n’engendreront des transformations profondes que les uns avec les autres. Pas de libre, de domaine public, de gestion sereine des biens communs, sans revenu de base et réciproquement. S’enfermer, refuser la transversalité, c’est encore une fois se condamner et faire le jeu des apôtres de la rareté.

A la première lecture, ce point de vue peut paraître difficilement compréhensible, car le domaine public semble exister indépendamment du revenu de base. Au bout d’une durée de principe de 70 ans après la mort de leur créateur, les oeuvres entrent automatiquement dans le domaine public, revenu de base ou pas.

Mais peut-on dire encore que le domaine public existe réellement aujourd’hui, autrement que comme un concept théorique ? Comme j’ai eu l’occasion si souvent de le déplorer, il est extrêmement difficile de trouver du domaine public « à l’état pur », réellement réutilisable sans restrictions, notamment sous forme numérique. L’essentiel des acteurs impliqués dans la numérisation du patrimoine, qu’ils soient privés comme Google ou publics, comme les musées, bibliothèques ou archives, profitent du passage sous forme numérique pour faire renaître des droits sur le domaine public, ce qui équivaut à une forme d’expropriation conduisant morceau par morceau au démantèlement de la notion.

Philippe Aigrain explique pourquoi ces comportements privateurs pervertissent complètement le sens de l’acte de numérisation :

Ce n’est que dans un univers totalement absurde qu’un simple transfert ou une capture numérique aboutirait à une résultat qui lui ne serait pas dans le domaine public. Le coût de la numérisation ou les précautions nécessaires n’y changent rien. Au contraire, c’est lorsqu’une œuvre a été numérisée que la notion de domaine public prend vraiment tout son sens, puisqu’elle peut alors être infiniment copiée et que l’accès ne fait qu’en augmenter la valeur. L’acte de numérisation d’une œuvre du domaine public est un acte qui crée des droits pour tout un chacun, pas un acte au nom duquel on pourrait nous en priver.

Même à la Bibliothèque numérique du Vatican.
Un gros filigrane en travers des manuscrits numérisés.
Copyright All Right Reserved… Tu ne voleras point…

 

Les seules structures qui respectent intrinsèquement l’intégrité du domaine public ne sont ni privées, ni publiques. Elles sont du côté des communautés attachées à la construction et au maintien de biens communs numériques. Il s’agit de projets portés par des organisations à but non lucratif, comme la fondation WikimediaInternet Archive ou le projet Gutenberg, qui s’attachent à diffuser la connaissance sans l’encapsuler sous de nouvelles couches de droits.

Or ces structures, si l’on observe bien leurs principes de fonctionnement, ne peuvent développer leur action que si des communautés d’individus décident de contribuer bénévolement à leurs projets, en y consacrant de  leur temps et de leurs compétences. Ces organisations restent donc dépendantes d’une économie de la contribution, qui ne pourra véritablement exploser que si les individus sont à même de consacrer leur temps libre aux causes qu’ils soutiennent. Et c’est ici que l’on retombe sur le revenu de base, car c’est sans doute la seule solution pour permettre à ces structures de passer à l’échelle en ce qui concerne la numérisation du domaine public. Pourtant la technologie permettrait sans doute déjà de décentraliser l’effort de numérisation au sein de petites unités, travaillant de manière collaborative, sur le modèle des FabLAbs ou des HackerSpaces.

En l’absence d’une telle réforme de grande ampleur, des organisations comme la fondation Wikimedia, Internet Archive ou le projet Gutenberg sont condamnées à n’avoir qu’une action à la marge, certes utile, mais insuffisante pour modifier le système en profondeur. Leurs moyens financiers restent tributaires des dons que les individus peuvent leur verser ou des dotations de grandes entreprises-mécènes, ce qui les maintient dans la dépendance du système global.

En ce qui concerne le domaine public, l’action de ces structures est bien entendu fondamentale, mais l’essentiel de l’effort de numérisation lui-même reste le fait des Etats ou s’opère de plus en plus dans le cadre de partenariats public-privé. Avec la crise financière que nous traversons, de moins en moins d’Etats seront enclins à consacrer des fonds à la numérisation de leur patrimoine. S’ils le font, ils chercheront à mettre en place des retours financiers, en portant atteinte à l’intégrité du domaine public. Et les partenariats public-privé conduiront également à un résultat désastreux, comme l’a bien montré l’exemple catastrophique de la BnF. Le secteur public, tout comme le privé, est imprégné d’une logique propriétaire, qui le transforme en un danger mortel pour le domaine public lorsqu’il oublie le sens de sa mission.

Pour sortir de la spirale actuelle, il faudrait que les actes de numérisation eux-mêmes puissent être pris en charge par des structures dédiées à la production de biens communs de la connaissance. Certains envisagent la mise en place de Partenariats Public-Communs pour remplacer les partenariats public-privé et il s’agit sans doute d’une idée féconde à creuser. Internet Archive prend déjà en charge une partie de la numérisation des oeuvres du domaine public, tout comme les communautés d’utilisateurs dans le cadre du projet Gutenberg ou de Wikisource transcrivent collaborativement les textes anciens. Mais les résultats atteints aujourd’hui correspondent seulement à une portion limitée, comparé à la masse des oeuvres du domaine public qu’il resterait à faire passer sous forme numérique.

Seul un passage à l’échelle de l’économie de la contribution permettrait à de tels partenariats Public-Communs d’émerger, mais on voit mal comment cela pourrait être possible sans l’avènement d’un revenu de base.

Domaine public et revenu de base : deux exemples de recoupements

Deux exemples récents semblent assez révélateurs des limites du système actuel et de la nécessité de coupler le combat pour la défense du domaine public à celui en faveur du revenu de base.

Le mois dernier, la fondation Internet Archive a par exemple annoncé qu’elle allait désormais rémunérer certains de ses employés en BitCoins et l’organisation a appelé à ce qu’on lui verse des dons dans cette monnaie alternative. Cette évolution est très intéressante, car elle montre comment une structure tournée vers la gestion d’un bien commun numérique peut tirer partie d’un système de monnaie  décentralisée comme Bitcoin.

 

 

Bitcoin constitue un dispositif de création monétaire en P2P qui montre qu’une monnaie peut émerger en dehors de l’action des Etats. Acceptée par WordPress et même par des marchands de pizzas,  elle peut être vue comme une brique intéressante pour bâtir une économie des biens communs.  Mais beaucoup d’observateurs, dont Stéphane Laborde et Stanislas Jourdan que j’ai déjà cités plus haut, mettent en garde contre le fait que le projet BitCoin possède beaucoup de défauts et n’est qu’une sorte de succédané à un revenu de base, qui ne peut être assis que sur une monnaie libre. Pour un acteur comme Internet Archive, BitCoin peut constituer temporairement un appoint en complément des dons classiques qu’il reçoit. Mais fondamentalement, une telle structure aurait bien plus intérêt à ce qu’un revenu de base soit instauré.

Un autre exemple tiré de l’actualité récente met en lumière également le lien entre le domaine public et le revenu de base. L’Open Knowledge Foundation a lancé en 2011 un  projet excellent intitulé The Public Domain Review. Il s’agit de favoriser la redécouverte de trésors du passé numérisés, par le biais d’articles de présentation. Cette démarche de médiation est cruciale pour faire en sorte de replacer les oeuvres du domaine public sous les feux de l’attention, en les réinjectant dans les flux et les réseaux. De ce point de vue, le travail accompli par The Public Domain Review est remarquable, mais il n’est bien sûr pas gratuit et l’initiative n’a pu se lancer que grâce au financement initial par une fondation.

Arrivé au bout de ce premier apport, The Public Domain Review est contraint de lancer un crowdfunding pour pouvoir continuer à exister. Le site a besoin de 20 000 dollars pour tenir jusqu’en 2014 et il fait appel à la générosité des internautes pour pouvoir rassembler cette somme. Sans doute, The Public Domain Review va-t-il réussir à atteindre cet objectif, mais comme le dit plus haut Thierry Crouzet, le crowdfunding n’est pas une solution miracle. Dans une société sans revenu de base, il ne peut avoir qu’un impact marginal, puisque les capacités de financement des individus restent toujours limitées par la rareté de la monnaie.

Le travail d’éditorialisation accompli par The Public Domain review est intéressant, mais il ne représente qu’une goutte d’eau par rapport à l’océan des oeuvres du domaine public qu’il faudrait mettre en valeur. Si le revenu de base existait, les individus disposeraient d’une marge de manoeuvre beaucoup plus grande pour financer de tels projets par le biais du crowdfunding ou pour y contribuer directement en donnant de leur temps. Sans cela, l’action n’est-t-elle pas condamnée à rester symbolique ?

Extension du domaine de la lutte

Cette réflexion sur les liens entre le revenu de base et le domaine public me paraît fondamentale.

Jusqu’à présent, je me suis battu pour le domaine public essentiellement sur un plan légal. J’ai proposé en ce sens une Loi pour le Domaine Public, qui aurait pour effet d’empêcher que des enclosures ne soient posées sur ce bien commun de la connaissance. Une telle réforme aurait à n’en pas douter un effet bénéfique de protection, mais il est clair que ce combat ne peut se limiter au seul terrain du droit et qu’il faut le croiser avec d’autres, pour qu’émergent les conditions de possibilités d’un passage à l’échelle de l’économie collaborative.

Récemment, j’ai participé à un atelier organisé par Hack Your Phd et Without Model autour du thème « Quel modèle économique pour une bibliothèque libre et ouverte ? ». L’exercice était intéressant, mais il a surtout montré deux choses. Si l’on veut que le résultat de la numérisation reste bien libre et ouvert, en respectant l’intégrité du domaine public, il faut que les Etats en assument le financement sans demander de contreparties, ce qui est problématique dans le contexte actuel. L’autre voie consiste à faire appel aux contributions volontaires, mais en l’état, elles paraissent insuffisantes au regard de la tâche immense à accomplir. La Bibliothèque libre et ouverte se heurte à une impasse.

Jusqu’à présent, je restai assez dubitatif concernant l’idée d’un revenu de base, car je pensais qu’il fallait nécessairement que ce soit les Etats qui le mettent en place, et les chances qu’un tel projet soit voté me paraissaient infimes. Une initiative citoyenne européenne en faveur du revenu de base a cependant été lancée en janvier 2012 et elle vient de recevoir le feu vert de la Commission européenne pour récolter un million de signatures.

Mais l’exemple de BitCoin prouve que les Etats peuvent en fait être contournés, par l’émergence d’une monnaie complètement décentralisée et créée entre pairs. Stéphane Laborde a lancé un projet nommé OpenUDC, qui permettrait de mettre en place un dividende universel sur la base d’une monnaie véritablement libre.

Pas de revenu de base sans domaine public, mais pas de domaine public sans revenu de base. C’est la conclusion à laquelle j’arrive et il est sans doute temps d’étendre le domaine de la lutte…

 

>>> Source sur : http://scinfolex.com/2013/03/09/du-domaine-public-comme-fondement-du-revenu-de-base-et-reciproquement/

>>> Licence : CC0 (Domaine Public)

L’édito du 21 octobre 2013

Après 2 semaines de manifestations pour les Biens Communs

Lédito-du-21-octobre-2013

… voici « pour mémo » également 2 petites définitions à connaître issues de wikipédia :

Biens rivaux

« En économie, la notion de biens rivaux désigne les biens dont la consommation par un agent empêche la consommation par d’autres agents (par exemple une pomme, qui ne peut être mangée qu’une fois par une seule personne). À l’inverse, les biens non rivaux sont ceux qui peuvent être consommés par plusieurs agents simultanément sans entrainer de perte (par exemple, la télévision hertzienne, qui peut être captée et regardée par des millions de gens au même moment). La plupart des biens non rivaux sont immatériels.

Les anglo-saxons désignent cette notion par l’expression récente « rivalry » qui a notamment été employée par Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université Stanford et créateur du projet Creative Commons.

Lessig constate qu’une partie du malaise observé autour des biens immatériels en général et de la distribution de contenu sur Internet provient de la disparité de nature entre biens matériels et immatériels : quand on vend le bien matériel, on ne l’a plus. Quand on vend le bien immatériel, on le possède encore : pour un des intervenants au moins, il n’y a pas eu échange, mais duplication. Or l’économie a jusque-là essentiellement travaillé sur un paradigme unique qui était celui de l’échange. »

Biens anti-rivaux

« En économie, un bien anti-rival est un bien dont l’usufruit, ou plus précisément l’usus, n’est pas privatif par nature. Autrement dit, l’usage d’un bien anti-rival par une personne n’en diminue pas la disponibilité pour autrui.

Parmi les exemples les plus connus, on peut citer certains biens matériels à coût marginal faible ou nul, comme les ponts ou les lampadaires, ou certains biens immatériels relevant de la connaissance pure, comme le logiciel ou les ouvrages encyclopédiques, lorsqu’ils sont numérisés.

L’adjectif anti-rival est un néologisme, issu de l’anglais anti-rival goods, terme créé par Steven Weber.

La notion rejoint celle de bien public dans le sens où les biens anti-rivaux ne sont pas exclusifs mais librement accessibles à tous, le plus souvent à la suite d’une décision politique, ou d’un choix de société.

Un bien anti-rival peut être le fruit de la création d’un seul individu qui en fait bénéficier la communauté, et qui profite à son tour des apports de celle-ci. En biologie de l’évolution ce mode de production et d’échange est appelé l’altruisme réciproque. »

***

… Je profite également de cet édito pour vous présenter également quelques « explications techniques » sur mon mode de fonctionnement actuel :

(car il est vrai que j’ai essayé divers méthodes depuis mes débuts …)

1/ Je suis abonné au flux RSS d’un grand nombre de sources libres* dans mon client de messagerie Thunderbird que je consulte plus ou moins régulièrement, mais pas nécessairement tous les jours faute de temps.

2/ Lorsque je « tombe » sur un billet qui me semble être intéressant à rediffuser, je le marque avec une étiquette orange pour le publier ultérieurement avec mon shaarli.

3/ Lors de la diffusion de ces liens (agrémenté d’un copier-coller de quelques lignes du billet et de quelques tags appropriés), si à la lecture/relecture je le trouve vraiment intéressant à rediffuser sur l’un de mes 3 blogs, alors je le marque d’une étiquette bleue pour http://sam7blog42.fr/ , d’une étiquette verte pour http://lemessageduplanc.sam7blog42.fr/ , ou d’une étiquette mauve pour http://geek.sam7blog42.fr/

4/ Dès que j’en trouve le temps … et de préférence avant qu’il ne soit trop tard … je publie/rediffuse tout ou partie de ces billets intéressants sur le blog adéquate. Parfois même, ça n’est pas des billets que je publie, mais des pages (en particulier dans mon http://sam7blog42.fr/ )… Ça m’est arrivé à plusieurs reprises de vous en donner de « petites listes » pour vous les faire découvrir … mais il se trouve que ces dernières semaines j’en ai publiées, et que je ne vous ai pas donné les liens … et que j’en ai d’autres de programmées pour les jours à venir : il me faudra donc vous les faire connaître à l’occasion de prochains billets.

Toujours, sauf oubli involontaire, je donne ma ou mes sources en fin de billet en donnant « en clair » le lien vers la (ou les) publication(s) d’origine (car il m’arrive parfois de concocter de petits « mixages »).

Dans la mesure du possible, j’essaye d’être régulier dans la publication sur ces 4 « médias » (à priori entre 1 & 3 fois par semaine sur chaque, ce qui fait entre 4 & 12 publications par semaine, ce qui est honorable car je suis « tout seul », au point que j’en oublie de plus en plus souvent mon google+ que je vais de toute manière sans doute laisser tomber petit à petit …

… Généralement pour les billets, ils sont programmés avec quelques jours ou semaines d’avance, par contre pour  mon shaarli , c’est du « direct ».

Il n’est pas impossible que durant les vacances (scolaires) je réduise momentanément la quantité de publications … il faut bien se reposer de temps à autre 😉

5/ Occasionnellement, mais pas aussi souvent que je l’aimerais, je rédige moi-même un billet sur un sujet qui me tiens à cœur, parfois en mixant différentes sources libres et je le publie sur http://sam7blog42.fr/ : un jour peut-être j’en publierais aussi sur mes 2 autres blogs…

J’essaye de faire cela en respectant l’esprit du libre & les licences libres grâce auxquelles tout ceci est possible. J’aime bien partager tout ces billets … je travail généralement sur mon site (mes 3 blogs + mon shaarli) le soir, après ma journée de travail …

Tout ce que je (re)diffuse donc est (en principe) sous licence libre (généralement CC-BY-SA, et parfois même CC0 … mais j’aimerais bien que tout puisse être du « Domaine Public ».

6/ Un jour prochain j’essaierais un autre « média » pour communiquer, et si ça marche bien & si c’est plus simple/facile & si ça me fait gagner du temps, alors peut-être deviendra-t’il mon « média favoris » … ça fait des mois que j’y pense, et j’espère « passer à l’acte » avant la fin de l’année … pour vous faire découvrir cette « surprise » 🙂 (mais ça semble être un « gros morceau » à mettre en place …)

sam7

(* en espérant ne pas en oublier car j’en rajoute occasionnellement)

Les véritables maîtres du monde

— Snowden n’était qu’un pion, il ne sait rien !

Serré dans un costume trois-pièces de marque, l’homme qui se tient devant nous est un inconnu du grand public. Dans l’ombre, Il travaille pourtant au service des personnalités les plus influentes. Pour accéder jusqu’au bunker où il se terre, il nous a fallu montrer patte-blanche et promettre de ne révéler que le strict minimum. Pas d’appareil photo, pas de dictaphone, pas de téléphone : un simple carnet de note dont le contenu sera vérifié à la sortie.

— Pourquoi avoir décidé de parler ? Pourquoi nous recevoir ?
— Parce qu’il est peut-être temps que l’humanité sache. Les hommes s’indignent d’être espionnés par la NSA ? Ils s’insurgent et brandissent l’étendard de la vie privée ? Ils exigent la neutralité du Net ? La belle affaire ! Mais s’ils savaient quelle menace pèse sur l’humanité…
— Que voulez-vous dire ? À quelle menace faites-vous allusion ?

Il s’arrête un instant et prend une inspiration.
— Très peu de gens sont au courant. Mais les preuves s’accumulent. Les historiens, les sociologues, les ingénieurs de mon équipe, tous confirment cette vérité : l’homme est en fait l’esclave d’une race supérieure. L’homme n’a plus son libre arbitre depuis bien longtemps. Il est contrôlé, manipulé, décérébré. Ils sont parmi nous. Nous sommes leurs instruments.
— Mais qui sont-ils ? De qui voulez-vous parler ?

D’un tour de siège, il se lève et s’arrête un instant le regard tourné vers le mur nu. Les mains croisées dans le dos, il maugrée des phrases inintelligibles. Puis, brusquement, il se tourne vers nous.
— Je parle bien entendu des chats ! Les chats qui ont inspirés toutes les grandes découvertes, les chats qui avaient réussi à prendre le contrôle total de l’Égypte antique. Les chats qui, après le déclin de celle-ci, ont compris leur échec et ont décidé de construire une humanité globale, sans risque de se voir renverser. À toutes les étapes importantes de l’histoire, les chats étaient là. Au moyen-âge, pour des raisons de superstition, les chats ont été persécutés. Durant ces siècles, l’humanité a stagné, le niveau scientifique et technologique a même régressé. Mais les chats sont patients. Chaque grand scientifique, chaque grand découvreur était la marionnette d’un chat. Internet est leur chef d’œuvre.
— Internet ?
— Toute la recherche intermédiaire n’était qu’un prétexte à développer la technologie. La conquête spatiale ? Utile pour mettre au point les ordinateurs mais, une fois ce but atteint, sans intérêt. Pourquoi croyez-vous, après avoir envoyé des hommes sur la Lune, que nous ne soyons plus capables que de réaliser quelques expériences en apesanteur ? Parce que ça n’intéresse pas les chats !
— Mais que veulent-ils ?
— Le contrôle absolu, tout simplement. Internet n’est qu’un instrument, planifié longtemps à l’avance.
— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
— Des preuves ? Oh, j’ai bien plus que ça.

Il appuie sur un bouton. Un graphique est projeté sur un écran derrière lui.
— Au début d’Internet, on considérait que la majeure partie des échanges étaient soit du spam, soit du porno. Mais il ne s’agissait que de tester l’infrastructure. Une fois la technologie bien au point, les chats sont passés à l’attaque. Aujourd’hui, grâce à PRISM, programme mis au point ici-même, nous savons que 84% du trafic Internet mondial concerne les chats.
— Excusez-moi mais j’ai du mal à voir l’intérêt qu’aurait Internet pour un chat.
— Il est pourtant simple ! Ils l’utilisent comme un outil d’asservissement subliminal. Chaque jour, 16.874 utilisateurs de Facebook succombent et adoptent un chaton dont ils vont publier le moindre mouvement sur le réseau social, amplifiant le phénomène. Observez les chiffres exacts, ils sont irréfutables !

Les graphiques se suivent et alternent avec des nombres, des observations, des citations de rapports secrets. Je suis profondément troublé.
— Pourquoi ne pas l’avoir dit plutôt ?
— Nous avons toujours eu peur de la panique qui pourrait s’emparer des humains. Nous ne savons pas comment les chats pourraient répliquer à une attaque frontale. Les grands dirigeants ont choisi de garder cette guerre secrète. Mais, après Snowden, je pense qu’il est déjà trop tard. Il faut avertir l’humanité. C’est pourquoi j’ai décidé de parler.
— Quel a été votre rôle exact ?
— J’ai été chargé de mettre en place une solution, une arme de défense. La création d’un gigantesque filtre anti-chat, mille fois plus puissant que les filtres antispam. Pour cela, il nous fallait prendre le contrôle d’Internet. C’est pour ce projet que Snowden était engagé mais il n’a jamais compris le but réel de son travail. Par contre, il est évident que les chats ont fait le rapprochement entre eux et la NSA. C’est pour cela que je souhaite rendre le problème public. Il ne sert plus à rien de rester caché.
— Ne craignez-vous pas que les défections du genre de Snowden se multiplient ?
— Le cœur de notre équipe travaille ici, dans ce bunker secret. Nous ne sortons pas et nous n’aurons pas de contact avec l’extérieur tant qu’une parade mentale ne sera pas trouvée.
— Ce n’est pas trop dur ? Votre famille ne vous manque-t-elle pas trop ?

Sur un profond soupir, il s’empare d’un cadre photo qui décore son bureau.
— Si, parfois, elle me manque. Surtout la nuit, lorsque mon lit est vide.

Il embrasse la photo et la tourne vers nous. J’aperçois avec surprise le portrait d’un magnifique chat tigré se prélassant près d’une fenêtre. Il sourit.
— C’est Croquette, ma petite chatte angora. Si vous pouviez l’entendre ronronner, un vrai moteur diesel. Ce jour là, elle avait attrapé une souris…

Les véritables maîtres du monde

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