La mort de la presse ? Tant mieux !

La mort de la presse ? Tant mieux !

La presse est en train d’agoniser. Et, entre nous, c’est une excellente chose.

Je tiens à différencier deux aspects très différents du journalisme : l’information et l’analyse. Il est évident que l’analyse n’est pas possible sans l’information. Et, historiquement, obtenir l’information était le plus difficile. C’est pourquoi le journalisme apportait de la valeur en fournissant principalement de l’information. Au point de parfois oublier la composante « analyse ». D’ailleurs, ne parle-t-on pas de consulter « les informations » ?

Le modèle de fonctionnement était le suivant :

Événements -> Correspondants locaux ou envoyés spéciaux -> Agences de presse -> Organes de publications -> Libraires -> Lecteurs

La valeur réelle du journalisme se trouvait dans toute la chaîne, conçue pour transmettre l’information depuis son origine à n’importe quel citoyen. Mais la monétisation n’arrivait qu’à la toute fin, dans les publications payées par le lecteur. Cela a conduit la plupart des journalistes à penser que ce qui avait le plus de valeur était la mission sacrée de la toute-puissante « rédaction » : choisir ce qui était pertinent ou non, la place sur le papier étant limitée.

Pour s’adapter à Internet, la presse a transformé les publications traditionnelles en sites webs. L’idée de base était de ne surtout rien changer et de faire payer une version électronique, un PDF du journal. Génial, on a trouvé un business model et, surtout, rien ne change. On fait même des économies sur le papier. Et sur les libraires. Mais eux, ce n’est pas très important. Tant que la sacro-sainte presse reste entière, pas de soucis.

Événements -> Correspondants locaux ou envoyés spéciaux -> Agences de presse -> Organes de publications -> Internet -> Lecteurs

Sauf que personne ne paie les versions électroniques. Du coup, les sites se sont remplis de pubs. Et qui dit pub dit course au clic. Au lieu de fournir des articles, il est devenu plus intéressant d’attirer le cliqueur avec des titres affriolants, des vidéos de chatons ou des infos peu importantes mais à caractère sensationnel.

Et, tant qu’à faire, exigeons des subsides du gouvernement ou de Google. Parce que, sans blague, le méchant Ninternet fait que les gens n’achètent plus nos journaux. Donc c’est la faute de Google.

Or la réalité est bien plus simple. Aujourd’hui, la chaîne de l’information c’est ça :

Événements -> Témoin équipé d’un smartphone -> Twitter ou Facebook -> Lecteurs

Twitter et Facebook ont remplacé toute la chaîne de l’information. Ce sont les plus grandes agences de presse du monde avec plus d’un milliard de correspondants et la gratuité de rediffusion de dépêches. Simple, non ?

Tellement simple que les journalistes ou les agences refusent de le voir. Mais il n’y a pas plus aveugle et réactionnaire qu’un humain dont le gagne-pain vient d’être rendu obsolète par le technologie. Le fait qu’ils s’en prennent à Google au lieu de Facebook ou Twitter prouve à quel point ils n’ont tout simplement rien compris. Ils s’accrochent à l’ancienne chaîne sans admettre que l’information se transmet sans eux. Pire : ils sont parfois les derniers informés, n’étant plus que des lecteurs comme les autres ! Du coup, ils publient des articles sur des choses que vous avez déjà lues dix fois sur les réseaux sociaux. La valeur du service rendu est donc nul. Économiquement, c’est très logique : dans un monde où l’information est rare, elle a beaucoup de valeur. Dans un monde où nous sommes tous bombardés d’informations, elle a une valeur nulle voire négative. Le métier de « transmetteur d’information » doit donc est repensé de fond en comble.

Bien sûr, l’inertie du public fait que le cadavre est encore chaud et remue. Une entreprise zombie typique. Les lecteurs, surtout les vieux, s’abonnent par habitude aux journaux papiers histoire d’avoir de quoi emballer les pommes de terre. Les internautes vont sur les sites des noms historiques d’organes de presse parce que… pourquoi au fond ? Simple réflexe reptilien. Bref, la presse est une poule sans tête qui continue à courir. Mais elle est bien morte. La preuve ? Les journalistes se sentent obligés de défendre leur métier en disant que seuls les « pros » font du bon boulot et que l’état doit les subsidier et que, économiquement, ça mettrait plein de gens au chômage. Bref, on est dans l’archétype du déni et du processus de deuil. Posez-vous la question : quand votre journal favori a-t-il révélé une information importante qui n’existait pas ailleurs sur le web ?

Honnêtement, cela ne m’attriste pas du tout : profitant de son aura et de son audience, la presse est devenue majoritairement un outil anti-démocratique, inconsciemment au service du pouvoir en place, participant à la peoplisation des élites et fournissant du divertissement abrutissant sous forme de chiens écrasés. Car, oui, la majeure partie de l’information est aujourd’hui du divertissement qu’on consomme à la pause café au boulot car c’est socialement plus acceptable que de jouer à Flappy Bird. Les médias sont détenteurs d’un pouvoir de diffusion arbitrairement centralisé. Ils ne font qu’exploiter une splendeur passée et brandissent l’étendard du contre-pouvoir qu’ils ont été il y a tellement longtemps. Certes, ils ont été utiles quand il n’y avait rien de mieux mais, à l’ère d’Internet, ils sont devenus contre-productifs. Pas d’accord ? Citez simplement les propriétaires des groupes de presse pour vous faire une idée !

Pour les journalistes en mal de recyclage, il reste la voie de l’analyse, de la recherche ou de la curation intelligente. Malheureusement, cela demande un talent et un effort bien plus important. Et la concurrence est rude : n’importe qui peut faire de l’analyse sur le web, même sans diplôme de journalisme. Pire, le contenu produit est tout sauf publicliquable. Il est long, fastidieux à lire. La majorité de la presse vivant grâce à la pub, l’idée de faire de l’analyse a donc été le plus souvent abandonnée. Si vous pensez produire un travail journalistique de valeur, et heureusement il y en a, prouvez-le ! Produisez du contenu et demandez à être payé ! Ou proposez des projets et faites jouer le crowdfunding. C’est simple, non ? C’est exactement ce que des structures comme Mediapart font. Et les gens paient.

Les agences de presse et les rédactions traditionnelles disparaissent ? Je m’en réjouis. Par essence, un contre-pouvoir finit toujours par s’acoquiner avec le pouvoir, à l’incarner et le défendre. À ce moment là, il est nécessaire de trouver un nouveau contre-pouvoir. La fin de la presse traditionnelle ne sera jamais qu’un outil de propagande en moins pour une société de consommation et un système démocratique à bout de souffle. Quand aux journalistes, les plus talentueux n’auront aucun mal à s’adapter. D’ailleurs, certains profitent déjà pleinement de cette nouvelle liberté que leur offre le web. Au fond, il ne reste qu’une question à résoudre : dans quoi va-t-on emballer les patates ?

>>> Source sur : http://ploum.net/la-mort-de-la-presse-tant-mieux/ 

>>> Photo par Florian Plag.

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De la science-fiction au design-fiction !

Il y a 4 ans, le thème de Lift était “Où est passé le futur ?” et nul ne semble l’avoir retrouvé depuis. On l’a échangé contre un présent qui semble être devenu perpétuel, rappelle Nicolas Nova en ouverture de cette dernière session de la conférence Lift. Peut-être parce que la représentation qu’on s’en fait est toujours en train de changer…

Les techniques du design au service de la fiction

On ne présente plus Bruce Sterling (Wikipedia). L’auteur de science-fiction ne s’intéresse pourtant pas qu’à la fiction, voilà longtemps qu’il s’intéresse également aux technologies et qu’il livre des réflexions sur ce sujet, que ce soit sur son blog comme dans des essais (on se souvient notamment d’Objets bavards paru en 2009).

Bruce Sterling face au public de Lift
Image : Bruce Sterling face au public de Lift, photographié par Ivo Näpflin.

Bruce Sterling regrette de ne pas avoir inventé le terme de design-fiction (il a été inventé en 2008 par Julian Bleecker). Mais c’est une approche qu’il pratique de plus en plus, notamment en atelier, comme ce fut le cas lors de cet atelier à Détroit organisé par le laboratoire du futur proche de Julian Bleecker.

Qu’est-ce que le design-fiction ? “C’est l’utilisation intentionnelle de prototypes pour expliquer le changement”. C’est une approche prospectiviste par le design qui spécule sur de nouvelles idées en utilisant les techniques du design, comme le prototypage ou la narration (storytelling). Le terme important, estime Bruce Sterling, c’est le terme “intentionnel”. C’est un choix délibéré, décidé qui a pour objet de présenter une forme, une histoire afin d’avoir un impact sur la pensée du public. C’est une “utilisation délibérée de prototypes diégétiques pour rompre avec la défiance ou l’incrédulité à l’égard du changement” explique encore Bruce SterlingComme l’expliquait très clairement Philippe Gargov sur son blog“pour le dire dans un français plus abordable, le design-fiction décrit l’utilisation de procédés narratifs pour présenter de manière *réaliste* l’utilisation potentielle d’objets et de services futuristes, le plus souvent sous forme de courtes vidéos. Comme le précise Bruce Sterling, il ne s’agit pas de fiction, mais bien de design, avec toutes les limites et contraintes que cela implique : quelle faisabilité technique ? Quelle interaction-utilisateur ? Quel modèle économique ? etc.”

Les lunettes animales d'Emma MontagueLa “diégèse” est un terme inventé par des spécialistes du cinéma qui avaient besoin d’un terme pour expliquer des formes narratives qui se rapportaient, qui s’intégraient à l’histoire. Par exemple, dans un film, une musique peut-être diégétique quand elle peut-être entendue par les personnages, alors que la plupart du temps elle n’est disponible que pour le spectateur. Pour Sterling, la diégèse est une invention qui illumine ce qu’il se passe sans nécessairement raconter directement une histoire. C’est quelque chose qui évoque un monde, à l’image des lunettes faites avec des dents d’animaux imaginées par la designer Emma Montague lors d’une exposition du Royal College of Arts, la grande école de design britannique.

Le design-fiction ne produit pas des canulars. Son but n’est pas de décevoir les gens, mais de produire une fiction qui amène les spectateurs dans un autre espace. Elle ne doit pas provoquer le doute, ni imaginer des appareils que l’on devrait fabriquer. Ces prototypes doivent suspendre la défiance ou l’incrédulité des gens dans le changement.

Plutôt que de faire un long séminaire pour parler des villes intelligentes… Le design-fiction propose quelque chose de plus concret. Il se propose par exemple de construire un vélo intelligent pour une ville intelligente en attachant des pièces fictives à un vélo pour montrer concrètement ce que ce vélo ferait s’il roulait vraiment. D’ailleurs, le principe consiste à rouler vraiment avec ce vélo, dans les vraies rues de la ville, pour faire un film, pour montrer le plus concrètement possible l’avenir… Et publier la vidéo sur YouTube pour voir si la démonstration parvient à convaincre.

Le but du design-fiction n’est pas que les gens utilisent ce vélo, ni en faire un qui fonctionne vraiment, mais permettre de focaliser l’attention du public sur quelque chose qu’ils comprennent, dans un contexte qu’ils comprennent. Les vrais objets ne sont pas des prototypes diégétiques. Ils sont dans le monde réel, ils ont des utilisateurs, des publics. Les objets diégétiques ne sont que des totems, des fétiches… Quand le design-fiction est bien fait, les gens vont penser que c’est vrai. On peut parfois imaginer un service qui existe déjà, qu’importe, nul ne peut connaître tous les objets du monde. L’important ici, est la gymnastique intellectuelle qu’apporte ce type de travail pour celui qui le produit comme pour le public. Tant pis si on fait de la fiction sur un produit qui s’avère réel…

Le design-fiction tient-il du divertissement ou est-il une autre façon de faire des scénarios, de la prospective ? Quel est son avenir ? Et l’écrivain de délirer sur tout ce que le design-fiction pourrait réimaginer. Des prototypes d’émission de télévision à la réinvention de la conférence Lift (“on pourrait montrer à quoi ressemblerait la ville de Genève si toutes les idées de Lift étaient appliquées. On pourrait quitter la conférence déguisés. Envahir la ville. Imprimer des modèles étranges depuis le fablab interne ou permettre à chaque participant de repartir avec un objet imaginaire…”), créer un musée des objets imaginaires du futur ou encore imaginer un OccupyTomorrow, “un camp spéculatif qui montrerait comment marcherait une ville si les idées politiques qu’on y élabore pouvaient se réaliser, un théâtre politique pour travailler nos anxiétés politiques de manière publique”

“Le design-fiction a un grand pouvoir et exige donc de grandes responsabilités”, estime Bruce Sterling. Nous n’avons pas besoin de design-fiction si on pense qu’on sait construire un monde meilleur. Mais c’est la même un mythe qu’il faut interroger et que le design-fiction permet d’interroger. “Le design-fiction permet de faire de nouvelles erreurs et c’est d’autant plus important dans une société obsédée par l’innovation technique, par l’amélioration du monde, même sur des institutions dégradées ou obsolètes”, conclut Sterling. Il nous faut mieux étudier les objets historiques qui n’ont existé qu’une fois et qui n’existent plus. “Les innovations de demain sont des objets obsolètes qui n’ont pas déjà disparu”.

Des objets techniques pour interroger le monde

Anthony Dunne (@DI__RCA) est professeur et directeur de la conception du programmeInteractions du Royal College of Art de Londres. Il est également partenaire, avec la designer Fiona Raby, au studio de design Dunne & Raby.

Anthony Dunne sur la scène de Lift
Image : Anthony Dunne sur la scène de Lift, photographié par Ivo Näpflin.

EneropaLe design a toujours embarqué une approche critique, explique celui qui a popularisé la notion de design critique en revenant sur de nombreux projets de ses étudiants comme de lui-même qui ont donné matière à exposition. Il a aussi toujours été un support du rêve, de l’imaginaire. Quand le pionnier du design industriel Norman Bel Geddes imaginait des avions de 9 étages, capables d’atterrir sur des toits orientables au sommet des gratte-ciels, il construisait déjà un monde. Quand la sociétéPlanetary Resources, qui propose de faire l’exploitation minière d’astéroïdes, expose dans le détail son fonctionnement possible, nous propose-t-il autre chose que de mettre en oeuvre nos rêves sociotechniques ? Et le designer d’égrainer les exemples et références comme la carte Eneropaune feuille de route pour la transition énergétique européenne imaginée par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas ; les étranges monstres de l’artiste Charles Avery ; l’étrange Codex Seraphinianus écrit par le graphiste italien Luigi Serafini, ce dictionnaire encyclopédique où tout est imaginaire, même la langue ; la collection Solutions de Sternberg Press, une série de livres pour réimaginer des pays existants…

Anthony Dunne a fait oeuvre de design-fiction en voulant l’appliquer à une échelle plus large, celle d’un pays. C’est l’idée qui a présidé à United Micro Kingdom, une exposition qui se tient actuellement au musée du Design à Londres. Les designers ont imaginé l’avenir de la Grande-Bretagne sous l’angle des transports. Ils ont imaginé un pays divisé en 4 sous-Etats indépendants, liant la technologie à l’idéologie : les communo-nucléaristes, les bio-libéraux, les digitariens et les darwinistes-anarchistes… en racontant l’histoire de ces communautés via les modes de transports qu’ils ont réalisés. Pour cela, les designers ont réalisé des plans précis, des maquettes, des prototypes des différents modes de transports de ces communautés afin de nous interroger sur comment la technologie (ici, par le prisme du transport) influe sur nos sociétés. Et d’évoquer par exemple la différence entre les digitariens, des ultralibéraux qui optent pour des voitures qui se conduisent toutes seules, où les gens dorment dedans, ou d’autres pour être moins chères permettent seulement d’être debout… Les communo-nucléaristes eux, font reposer leur énergie sur le nucléaire dans un Etat très discipliné et communautaire. Les véhicules imaginés deviennent des sortes de paysages mobiles sur rails. Les designers ont travaillé avec des ingénieurs pour inventer des multitudes de détails et rendre les créations les plus réalistes possible afin de susciter la discussion. Qui voudrait vivre dans ce monde ? Qui voudrait se déplacer avec ces véhicules ?


Image : les maquettes des paysages mobiles sur rails des communo-nucléaristes et celles des voitures autonomes des digitariens, tirés de l’album United micro Kingdom de Dunne & Raby.

Le design peut-être un accessoire utile pour la discussion conclue Anthony Dunne. Il permet de créer d’autre réalité, de montrer concrètement la technologie, les objets… l’envers du décor, pour créer une relation différente. Dans les romans et les livres de science-fiction, nous sommes invités à habiter les personnages, l’action. Ici, en présentant des objets, la relation est plus ambiguë. On peut les toucher, tenter de les habiter, de les utiliser… Ils nous invitent à nous interroger d’une manière plus intime, plus personnelle.

La technologie écologique tient-elle du design-fiction ?

Rachel Armstrong (@livingarchitect) est maître de conférences à l’école d’architecture, design et construction de l’université de Greenwich et codirectrice du programme Avatar (un programme de recherche avancée en architecture virtuelle et technologique). Cette spécialiste de “l’architecture organique” comme elle nous l’expliquait déjà à la conférence PicNic 2009 a plusieurs fois été récompensée comme l’une des penseuses les plus originales du Royaume-Uni.

Rachel Armstrong sur la scène de Lift 2013
Image : Rachel Armstrong pour conclure Lift 2013, photographiée par Ivo Näpflin.

Avec une emphase assez superfétatoire et un fort marketing de soi (la chercheuse est passée à TED pour évoquer l’architecture autoréparatrice), Rachel Armstrong nous invite à aller au-delà de ce qu’on croit être possibles, scientifiquement. “Nous sommes assis sur les épaules des géants de l’âge de la logique qui nous ont certes apporté des innovations techniques incroyables. Mais ce sommet de rationalité, ne risque-t-il pas de nous faire perdre notre capacité de réflexion visionnaire ?”

Pour Rachel Armstrong, les projets les plus stimulants pour demain sont le retour à la lune et le développement d’une planète plus intelligente via l’internet des objets. Mais on a déjà été sur la lune et on sait déjà relier les objets entre eux via l’internet. De quelles idées vraiment nouvelles avons-nous besoin pour stimuler l’avenir ? Quand John Fitzerald Kennedy a décidé d’envoyer des hommes sur la lune ou quand Collomb a décidé de passer par l’Ouest pour rejoindre la Chine, ils ont lancé des idées audacieuses auxquelles nul ne croyait. C’est en tentant l’impossible, c’est par l’idéation radicale, qu’on apporte de grands changements.

“Comment tenter l’impossible avec la science et la technologie ?”, interroge Rachel Armstrong. La science du XXe siècle observe le monde de manière précise et tente de le décrire de manière mathématique, comme quand Descartes décrivait un arc-en-ciel. Mais la science se refuse à calculer l’impossible. La science du XXIe siècle repose elle sur la complexité, les réseaux et les flux toujours en création. Avec la science du XXe siècle, un évènement est possible ou impossible, pas avec celle du XXIe siècle. L’imagination est le territoire que la science du XXIe siècle doit ouvrir.

Nous avons besoin de ces deux types de sciences, estime l’iconoclaste chercheuse. Ces deux cadres nous apportent des visions différentes du monde et vont s’incarner dans des technologies très différentes de celles qu’on produisait jusqu’à présent. La technologie du XXe siècle s’est incarnée dans la machine, une série d’objets inertes qui utilisaient une énergie externe pour fonctionner, comme le piston du moteur à explosion. La technologie du XXIe siècle va chercher à utiliser d’autres principes, comme ceux de l’écologie, du vivant. Des systèmes capables de grandir, de se réparer, de bouger, de se reproduire…

On va alors développer une technologie dont on dirige le fonctionnement en changeant ses conditions internes ou externes. Les technologies écologiques, qui reposent sur ce type de principes n’existent pas encore. Nous devons les inventer. Elles existent déjà comme pratiques de recherche. Rachel Armstrong cherche à développer ce qu’elle appelle “l’informatique naturelle” qui consiste à utiliser la puissance de la nature pour faire du calcul. Son projet, Future Venise, consiste ainsi à faire pousser une barrière calcaire sous la ville pour la préserver de la destruction, utiliser des technologies vivantes et naturelles pour assainir la lagune de Venise. Les systèmes opératoires des technologies écologiques à venir sont déjà en gestation, estime la chercheuse. Andrew Adamatzky, directeur du Centre d’informatique non conventionnelle, travaille sur des systèmes de computation biologique. Le spécialiste des systèmes chimiques complexes, Lee Cronin, travaille sur les cellules inorganiques. Leurs travaux nous montrent que le logiciel comme le matériel, demain, pourraient devenir chimiques. Rachel Armstrong, elle, travaille sur les gouttelettes intelligentes, des protocellules constitués d’un très petit nombre de produits chimiques, mais qui sont capables de percevoir leur environnement, de le modifier (vidéo). Elle étudie la force interne, le métabolisme qui fournit aux gouttelettes de l’énergie et leur permettent de se déplacer. On pourrait imaginer depuis ces travaux construire des assemblages techniques robustes, flexibles, capables de répondre aux changements environnementaux. En comprenant pourquoi elles changent de formes, de façon de se déplacer et comment ces interactions passent un point de bascule, nous pourrions peut-être demain parvenir à les diriger en changeant les conditions internes et externes de leur environnement, explique la chercheuse.

Protocells from MST on Vimeo.

A l’occasion de la Biennale de Venise de 2010, Philip Beesley et Rachel Armstrong ont créé une installation baptisée Hylozoic Ground pour faire référence à l’hylozoïsme qui suppose que toute matière à sa vie propre. Hylozoic Ground (vidéo) se veut un prototype de technologie écologique. Cette forêt artificielle composée de fils d’acrylique, de globes de verre et de lumière est dotée de moteurs pour donner une impression de mouvement respiratoire à l’ensemble. Elle est aussi dotée de capteurs permettant de sentir la chaleur humaine, de changer de couleur ou de produire des sons de déglutition quand les liquides s’échappent d’une sphère à une autre. L’idée est que la structure architecturale reproduise des échanges chimiques vivants.


Image : L’installation Hylozoic Ground.

Au-delà de ces installations artistiques, Rachel Armstrong pense que ces technologies écologiques pourraient nous aider à adresser de nouveaux défis. Son projet Future Venice envisage de faire pousser une barrière de calcaire sous la ville en utilisant un calcaire qui fuit la lumière, se réfugie dans les poteaux de bois qui soutiennent les constructions. La technologie serait à même de se reconfigurer : si le niveau d’eau baisse, le calcaire scelle le bois et l’empêche de se désagréger.

“Nous avons besoin d’idées extravagantes pour aller de l’avant”, conclut Rachel Armstrong, pour défier l’âge de l’inpossible, comme elle a baptisé le forum qu’elle vient de lancer, afin d’explorer des territoires inexplorés. Pour elle, comme elle l’explique encore sur son blog“le futur n’existe pas comme une chose, mais comme outil”“Le futur que nous connaissons aujourd’hui est une forme professionnelle d’augure, menée par des futurologues qui n’utilisent plus les oiseaux et les événements naturels pour prédire les événements comme dans les temps anciens, mais les données mystérieusement tissées avec des algorithmes pour faire de prophéties (…). (…) Ces devins parlent d’événements basés sur des choses que nous savons être vraies aujourd’hui. Le “futur” auquel nous sommes habitués est donc le plus souvent une projection déterministe du “maintenant” – souvent sans aspérités.”

Reste à savoir si Rachel Armstrong fait du design-fiction ou de la science… Si son discours n’était pas autant gonflé d’importance peut-être aurait-on pu la prendre plus au sérieux. En l’état, on restera dans une certaine expectative, fasciné par sa vision, plus que par la construction théorique qu’elle en fait.

Hubert Guillaud

L’arbre des possibles

Dernièrement, je suis tombé par hasard sur cette vidéo très intéressante & instructive que je vous invite à visionner :

TEDxParis 2011 : Bernard Werber – L’arbre des possibles

« L’Arbre des Possibles » est un projet initié par Bernard Werber pour rechercher ou imaginer les futurs possibles de l’humanité. Futurs pessimistes, neutres ou optimistes, à court-terme ou à plus long-terme…

Participez vous aussi à cette exploration du futur!

Lisez les scénarios déjà nombreux proposés par les internautes, créez les vôtres, répondez aux scénarios existants et créez ainsi les branches de l’Arbre des Possibles.

Avant d’être ce fabuleux projet, « L’arbre des possible » est également l’un des romans publié par Bernard Werber … en 2002 😉

>>> Sources & plus d’infos sur :